Pourquoi les gens [...] sont ils toujours un peu rebelles ?
Cette semaine, j'ai demandé à Marie Gloris Bardiaux Vaïente de répondre à quelques questions. J'ai tenté (en vain) de m'éloigner du sujet sur lequel on l'attend le plus, à savoir le combat féministe dans son ensemble, et au sein de la bande dessinée en particulier, mais il faut croire que mon cerveau, sur l'instant, trouvait que c'étaient des sujets essentiels.
1 - Te serait-il jamais venu à l'esprit de scénariser de la bd si tu n'avais pas été mariée à quelqu'un dont c'est le métier ?
Quand j’avais 10 ans je voulais être institutrice. J’ai exercé ce métier pendant 15 années.
Quand j’avais 12 ans je voulais être journaliste. Je trouve des biais depuis pas mal d’années pour informer à ma façon.
Quand j’avais 15 ans je voulais être avocate. J’écris avec un thème central (on peut penser que c’est le féminisme mais c’est en réalité plus large) : la justice, partout présente, je m’interroge sans cesse sur ce que ce mot signifie.
Quand j’avais 18 ans je voulais être scénariste. Plutôt pour le cinéma. Mais j’ai toujours lu et aimé la bande dessinée, depuis toute petite.
En 2012 j’ai eu l’opportunité d’y mettre un début d’orteil, puisqu’en effet Thierry m’a proposé de travailler avec lui. Très rapidement, comme pour toute chose, j’ai eu besoin de m’emparer de la totalité du médium, de l’acte, de la technicité. Et de faire, moi toute seule. Être agissante. Le rôle de muse ou de porte flambeau ne me convient jamais très longtemps J
Il y a des auteurs qui ont voulu faire de la bande dessinée depuis toujours. Ce n’est pas forcément mon cas. Je n’ai toujours voulu qu’une chose : me trouver – savoir qui je suis - à travers les diverses activités que je pratique. La bande dessinée est une de ces pratiques, elle me prend tout entière aujourd’hui.
2 - Je sais qu'on part de loin, mais j'ai l'impression qu'on va dans le bon sens, côté dynamique féministe dans ce milieu, non ? Moi-même je fais gaffe à ce qu'il y ait de la parité dans mes interviews, et je suis plutôt du genre militant passif.
Oui, on avance. En effet, comme tu le soulignes, nous partons de loin. Mais comme pour toute question liée au féminisme c’est très lent. Néanmoins, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme a permis de faire évoluer les choses : nous sommes dorénavant entendues.
Bon, le chemin reste long, ne nous leurrons pas, mais le regard porté au moins en interne, - le milieu en lui-même – bouge, et je ne peux nier les progrès réalisés en peu de temps.
3 - C'est quoi le projet bd que tu rêverais de réussir à placer auprès d'un éditeur ?
Je l’ai placé.
Je t’explique. Depuis toujours j’ai été poursuivie par la personnalité d’Antigone.
Les éditions 6 Pieds sous terre m’ont permis de réaliser ce projet, j’en avais besoin pour une raison consubstantielle : me délivrer d’elle. Pour pouvoir passer à autre chose.
Mais sinon, je pense qu’actuellement, en dehors de mes écrits et des projets que je continue à avancer, qui voient le jour au fur et à mesure, je crois que ce que j’aimerais à l’avenir c’est faire de l’éditorial. J’y ai touché un petit peu avec « Féministes » et cette expérience m’a énormément exaltée.
4 - Y'en a un peu marre, dans la bd historique, de se farcir des nazis ésotériques fans de Thor. Y'a pas d'autres périodes autrement plus passionnantes et sous-représentées ?
Je ne lis pas particulièrement de bande dessinée historique, même si l’on pourrait effectivement penser le contraire du fait de ma formation et mes publications.
Mais pour répondre à ta question, il y a des continents entiers à explorer dans ce genre, et qui sont laissés en friche depuis toujours en bande dessinée aussi (« aussi » car le milieu universitaire que je côtoie un petit peu en est à peu près au même point).
Donc oui, redécouvrir les richesses historiques et culturelles de très nombreux peuples, que notre regard d’Européens (t’as vu, j’écris pas en inclusif, mais j’y pense très fort :D ) a nié.
Le monde ne nous appartient pas, et il me semble que nous aurions beau temps à devenir humbles et aller avec curiosité apprendre de ce monde, et notamment des richesses de son passé, de son Histoire.
5 - J'y pense car je viens de vendre une Bd sur le thème : on en voit de plus en plus, des bds sur le feminisme, ou dont c'est le sujet sous-jacent. Donc forcément, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous (peu importe le thème, la proportion de bonnes choses restera la même). C'est une bonne chose, cette mode, ou tu as peur que ça desserve le propos ?
Oui, en effet, quand on voit des marques de fringues ou autres s’approprier une lutte et un slogan, la question capitaliste se pose. Le combat n’est-il pas dévoyé ?
Une fois la question posée, de mon point de vue, mettre aux yeux de tous et de toutes les problèmes liés aux luttes féministes est une bonne chose. Car c’est par leur diffusion que nous pouvons espérer interroger l’ensemble de la société sur ce que nous voulons dénoncer.
En revanche il est évident que je suis attentive dans le domaine de la bande dessinée aux ouvrages qui sortent sur le propos. Le féminisme ne doit pas devenir le nouveau « girly ».
Et d’un point de vue personnel, je ne veux surtout pas que l’on puisse imaginer m’enfermer dans une telle case. Ce thème est intégré à mes écrits, à mes récits, mais ces derniers ne sont pas que cela.
« On te demandera toujours d’être la première, jamais d’être heureuse » m’avait dit un soir de déprime, un ami.
Je n’ai jamais voulu être la première. Simplement, pouvoir dire avec sincérité et sans pudeur, qui je suis.
Je suis aujourd’hui une autrice heureuse.