Tu fais le malin parce que tu parles Allemand : une interview avec Marion Montaigne

Publié le par Le libraire se cache

Nous avons commencé nos blogs respectifs sensiblement au même moment, Marion et moi, mais une des nombreuses différences entre nous c'est qu'entre temps elle a accumulé les récompenses et l'adulation du public. Pour l'avoir reçue en dédicace quelques fois, je peux attester que c'est une des personnes les plus fines et drôles de l'univers et qu'elle transforme un parterre de fans avides de dessins gratuits en un champ de coquelicots baigné du soleil du bonheur.

 

J'ai un souvenir d'une photo wikipedia, comment dire...tu vois quoi ?

 

Celle où j'ai l'air d'avoir 12 ans, abandonnée sur le bord d'une autoroute alors que je suis juste en dédicace, un matin, sur un stand de Quai des Bulles? Oui je vois.

Elle y est toujours ?

Oui je crois. Je suppose que la personne qui a fait la page a mis une photo libre de droit, c'est-à-dire où je suis en mode "représentation publique". Je pourrais demander à la changer. Mais c'est un peu peine perdue de toute façon, je ne suis pas photogénique. J'ai pas forcément mieux à proposer.

C'était ça la question?

D'ailleurs, sur le même sujet (je triche un peu), tu as une attachée de presse perso depuis la folie Pesquet ?

Quand tu sors une BD, tu as automatiquement l'attachée de presse de l'éditeur avec qui tu sors le bouquin qui se met en relation avec toi. Tu as donc autant d'attachées de presse que d'éditeur avec qui tu travailles. A Angoulême j'étais en relation avec 3 attachées de presse par exemple. Mais je n'ai pas d'attachée de presse personnelle, rien qu’à moi. Faut pas déconner. Je suis pas la Valérie Pécresse de la BD.

 

- Est ce que tu reçois plein de cartes postales de gens qui te posent des questions plus ou moins scientifiques, et est-ce que tu croules sous les suggestions à chaque séance de dédicace ?

 

Je reçois des mails et messages de gens qui me posent des questions oui, surtout depuis que la série a été diffusée à la télé. Mais je n'arrive absolument pas à répondre à tout le monde, j'ai essayé, mais une fois que j'ai répondu à trois personnes, je me rends compte que ça m'a pris une demi-journée. Alors j'ai du mal à répondre à tous, parfois je me donne 3h et go mais j'avoue, je ne suis pas très au taquet à ce niveau.

Puis il y a parfois vraiment des questions étranges, certaines que je ne suis pas sûre d'avoir comprises. Je ne sais même pas trop quoi répondre.

En dédicace, les gens ne viennent pas trop faire des suggestions sur le blog j'ai l'impression, ils viennent, je pense, pour échanger un peu, dire ce qu'ils ont aimé dans les BD.

Beaucoup sont assez silencieux en fait. Parfois c'est moi qui parle beaucoup, ça dépend.

Par contre, quand les gens viennent en dédicace et qu'ils me racontent qu'ils sont véto, archéologue, infirmiers psychiatriques, pilotes, éducateurs, bref quand on commence à parler de leur boulot, souvent, c'est moi qui pose des questions.

 

- C'est quoi le truc le plus dingue que tu aies fait pour une de tes notes de blog ?

Je pense que c'est faire un vol Zero G, dans un Airbus de Novespace qui fait des chutes libres de 30 secondes, pour que tout le monde soit en impesanteur. ça permet de faire de la recherche en micropesanteur. Enfin moi j’ai fait un vol scientifique, pas touristique.

Mais dans les deux cas, l'avion  fait trente paraboles de 30 secondes, pendant 3h. Comme j'étais avec des équipes scientifiques, fallait pas non plus faire trop le mariole, pour pas défoncer une machine de 3 millions d'euros par un coup de pieds mal contrôlé. En revanche, le bon côté de ce genre de vol, c'est que j'avais le droit à un l’injection de scopolamine, c’est assez efficace contre le mal de l'air. Tellement efficace que vous ne salivez plus, donc vous crevez de soif mais pour rien au monde vous ne voulez boire parce qu'il n'y a pas de toilettes dans l'avion. enfin y a des solutions pour vous soulager mais vous n’avez pas envie des les essayer.

Allez, je vous raconte, je sens que vous mourrez d’envie de que je vous raconte :D


J’ai fait une BD sur ce vol qui s’intéressait surtout à la recherche qu'on y fait. Mais en fait, il y aurait plein d’autres choses à raconter.

Par exemple, ce qui était sympa, entres autres, pendant le vol, c'était d'aller voir dans la cabine de pilotage ce qui s’y passe.

Un détail m’a marquée: les pilotes ne regardent pas du tout devant eux pendant le vol. Ils se foutent totalement de regarder le paysage. Ils ne s'en occupent tellement pas qu'ils condamnent certaines parties du pare-brise parce que quand l'avion se cabre à 45°, de toute façon, il n'y a que du ciel et le soleil qui veut vous décoller la rétine. Donc ils mettent un cache sur certaines vitres afin de ne pas être éblouis.

Pendant les paraboles, les pilotes sont donc pliés en deux sur leurs manettes, les jauges et autres indicateurs de l'avion. Au sommet de la parabole, ils coupent les moteurs et  l'avion se retrouve donc en chute libre. c’est le moment où toutes sortes d'alarmes s'enclenchent. Donc, en plus d'être dans un avion qui est en train de littéralement tomber, ça sonne de partout mais tout le monde reste stoïc et hyper concentré.

Il y a, par exemple, les alarmes qui signalent, je suppose, que les capteurs ne détectent plus le carburant puisque ce dernier se retrouve lui même en impesanteur. L'engin se croit probablement en panne sèche. Un troisième type en plus des deux pilotes est là pour relever sur papier les souffrances de l'avion, en cochant les alertes normales et surveille si y en a des anormales dans le tas. Moi j’étais placée derrière le pilote de gauche, le 3eme larron était devant moi mais à droite. Je voyais tout le monde de dos. En impesanteur, on avait tous les fesses qui décollaient de leur siège mais on était retenu par la ceinture.

Par contre, la concentration des pilotes était si intense que cette micro-gravité devenait un détail franchement anecdotique pour eux. Faut vraiment les imaginer voutés, quasi le menton dans les genoux à scruter leur tableau de bord, ils sont en train de faire de la dentelle, alors t'as pas intérêt à les emmerder.

A la fin de la parabole on a donc un avion qui pique vers le sol (ou plutôt vers la mer dans notre cas) à 45°, ce qui est assez impressionnant à voir, parce que par les espaces non colmatés du pare-brise,on voyait l'océan, des nuages, et on fonçait littéralement dedans, en tombant. A ce stade en plus, l'avion a les moteurs coupés, c’est silencieux bref, c'est surréaliste.

Puis les gars remettent les gaz pour redresser l'avion à la normale. Et tout le monde retombe sur son siège. C'est pas du tout un truc pour les phobiques en avion.

 

- On te demande, à toi, de dessiner des femmes nues, en dédicace ?

Non. Quoi que peut être une fois, pour rire, on a du m'en demander une. Il va de soi qu'elle sera soit immonde soit sexy à ma façon. J'ai déjà dessiné des mecs à poil pour des copines. Souvent ils finissent sur des dos de licornes, le corps luisant. Pourquoi ça ne marcherait pas dans l'autre sens ? Par contre, c'est pas méga sexy, on ne se paluche pas en les regardant.

Un professeur moustache en tenue sexy ?

Hmm j'ai du le faire. Pas souvent. ça a pas du être jojo.

 

- J'imagine que t'es consciente que si tu faisais un projet Ulule, ce serait la folie furieuse. T'y as songé, ou la jurisprudence Laurel t'a calmée un peu ?

On m'a parlé plusieurs fois de m'auto-éditer, mais voilà: je n’ai pas du tout envie de faire le boulot de l'éditeur. Je ne sais déjà pas faire ma compta, je vais pas me lancer dans de la gestion de stocks, faire du marketing, des gooddies, des envois, etc. Je dois être honnête: je n'aime pas ça, je ne suis pas une bonne gestionnaire, ni bonne logisticienne, je suis une crotte en évaluation de coût et de risque.

Et puis surtout, surtout, je ne veux pas que tout ce temps annexe ne m'en donne plus pour faire mon métier, à savoir de la BD.

Après je suis admirative de ceux qui le font mais moi, je pense que je ne ferai que des bourdes, l'une après l'autre car quand je fais quelque chose que je n'aime pas, je le fais mal et je me saborde. Donc très vite, ça partirait en sucette.

Tiens, je suis déjà aller voir l'imprimeur des  "Tu mourras moins bête". Par deux fois, j’'ai pu voir comment ça se passe. Ben je peux vous dire que je ne ferais pas non plus une bonne chèfe de fab.

 

L'autre truc aussi qu'il faut rappeler, c'est que normalement, quand il est bon, l'éditeur est un conseiller.

Bien sûr tout n'est pas rose, y a des rapports de forces auteurs-éditeurs, mais y a aussi beaucoup d'échanges de compétences. L’éditeur/trice est quand même censé lire le projet pendant qu'il se fait, c'est lui/elle qui te dit:" là j'ai rien compris, là c'est lourdos, là c'est pas ce que t'as fait de mieux, là c'est trop long, ici y a 600 fautes d'orthographe à la planche".

Sur la BD sur Pesquet, je peux vous dire qu'on en a coupé des passages avec mon éditrice. Elle prend son stylo rouge, elle barre des pages entières et elle a raison (et quand je ne suis pas d'accord alors on en discute, c’est l’intérêt). Même si ça me plonge dans des affres de souffrances psychiatriques pendant des jours parce que ça demande à ce que je refasse tout, je veux qu'un éditeur me dise quand je suis en train de faire de la merde. Je préfère souffrir en refaisant un passage qu'avoir honte ou avoir des regret après la sortie de l'album.*

Je parle surtout de l’éditeur, mais j’y inclue aussi les graphistes qui sont là pour vous donner des conseils sur la couv, des maquettistes qui remettent d’aplomb les planches et les attachées de presse dont j’ai parlé plus haut qui interviennent aussi à différentes étapes. J’oublie plein d’autres métiers que je ne saurais pas faire, du représentant au diffuseur. Donc l’auto-édition, c’est tout ça. Et je ne sais pas faire tout ça.


 

*De manière générale, j’espère qu'il y aura toujours quelqu'un à mes côtés pour me dire: "là tu t'endors sur tes lauriers/ tente autre chose/ tu nous saoules avec ça/ c'est nul/ etc". Mais c'est de plus en plus dur de trouver des gens de confiance, d'intelligence et d’honnête pour.

 

 

Merci Professeur Moustache !

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J
Quelqu'un pourrait-il avoir l'amabilité de m'expliquer "la jurisprudence Laurel" (un lien, quoi Googler). J'imagine que ça a un rapport avec https://fr.ulule.com/comme-convenu/ , mais encore ?
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L
eh bien il s'agit de recolter beaucoup d'argent de beaucoup de gens et au final de devoir gerer la prod, les demandes individuelles et surtout les envois pour se retrouver avec pas grand chose dans la poche (je ne me souviens plus du chiffre exact, elle avait communiqué dessus)
M
Oui , elle m'avait fait une mini Boutin nue courant après un chevalier !:)<br /> <br /> Avec çà c'est sûr tu mourras moins bête , mais bon tu mourras quand même !<br /> <br /> Vive Marion !
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J
Johnny t'adresse ses remerciements, ô libraire qui se cache.