Chopped zombie fungus
Cette semaine, j'ai demandé à deux auteurs que j'apprécie particulièrement depuis genre super longtemps de répondre à mes questions inspirées. Enfin, il y en a un qui a répondu pendant que l'autre se mouchait poliment en étant présent, mais j'ai senti dans son regard vitreux de l'autre côté de l'écran une réelle volonté de s'exprimer. James est une des personnes les plus drôles que je connaisse tandis que j'apprécie tellement le style de Boris Mirroir qu'il trône fièrement au dessus de mon canapé (son style, j'entends. Lui, pas encore).
1 - Pseudo americain (d'ailleurs, pourquoi) et pseudo russe (d'ailleurs, pourquoi ?). C'est ce qui fait que vous êtes autant complémentaires ? Heu, d'ailleurs, vous êtes complémentaires ?
James : Tout d'abord, merci cher ami caché de nous donner la parole au moment où sort notre formidable nouveauté « Dieu Point Zéro » chez Fluide Glacial, et qui est déjà notre 8e album commun - et même 12e si on compte aussi les livres où Boris a mis en couleur mes dessins. Pardon pour ce petit avant-propos, mais c'est l'expérience qui parle là, il faut toujours saisir la première opportunité pour le placement produit. Ensuite, pour répondre à ta question, je dirais pseudo anglais plutôt qu'américain. On a monté le blog Ottoprod il y a 13 ans, un peu sur un coup de tête, pour moquer le monde de la bédé, alors qu'on tentait d'y faire notre petit trou sous nos vrais noms sans trop de succès. Pour ne pas se griller totalement on s'est donc créé des personnages. J'ai pris la figure de l'ours. Il lui fallait un nom, un vrai nom, je voulais qu'il soit incarné. J'ai cherché 2 minutes et je me suis arrêté sur James. J'aimais bien le côté british, raffiné du nom, qui venait en contrepoint des énormités qu'on pouvait raconter. Et comme je parlais à travers ce personnage, je suis devenu ce personnage pour les lecteurs. Pour Boris, l'explication est plus simple. Quand tu te prénommes en réalité Dylan-Edouard, il n'y a pas 36 solutions...
Boris Mirroir se mouche bruyamment puis opine (10€95, couleur, couverture cartonnée).
2- Quand j'ai commencé à être librairie, la lecture des mauvaises humeurs de James et la tête x m'a tellement fortement réjoui que j'en ai même envoyé un mail (c'est dire). Bon, personne ne m'a répondu, ce qui explique peut-être mon aigreur actuelle, mais je me demande si vous n'étiez pas un poil en avance sur votre temps, et si ce genre de strip n'aurait pas eu encore plus d'impact avec les réseaux sociaux ? Ou est-ce que le lectorat (conséquent) des blogs était déjà gratifiant ? Question comme ça qui n'a super rien à voir avec quoi que ce soit, évidemment, mais c'était vraiment génial, Bayday leaks. (c'est même pas une question, tiens)
James : Bayday quoi ? Connais pas... Je viens de retrouver ce mail, qui date du 1er avril 2007. Des compliments, de la part d'un libraire, avec comme objet de mail « interflora », un premier avril... comment pouvait-on y croire ? Mais bon, 11 ans plus tard, sois assuré de notre reconnaissance et de nos remerciements pour ces mots encourageants et réconfortants. C'est sûr que ces pages auraient tout à fait collé aux machines à clash et à buzz que sont devenus les réseaux sociaux. Mais on était bien sur le format blog. On en maîtrisait le contour et on n'était pas à la merci d'un algorithme capricieux. L'aspect gratifiant de la chose était que les lecteurs faisaient l'effort de venir nous lire, ce n'était pas comme aujourd'hui où tout tombe tout cuit dans un fil d'actualité, entre deux indignations, une BA de Star Wars et une vidéo de chaton. C'est toujours agréable de savoir qu'on n'est pas lu par hasard. On sortait de la grande époque des forums (bulledair, cafésalé), où on s'est connus et où on s'est mutuellement apprivoisés avec Boris. Les blogs ont été un vrai outil d'émancipation.
Boris Mirroir renifle en se préparant un thé miel-citron (disponible depuis le 11 avril, isbn 9782378780043).
3- Ca ressemble à quoi, la presse spécialisée (ou non, d'ailleurs), en 2018 ? Là pour le coup vous n'avez pas l'impression d'arriver un peu tard et que dans les années 70-80 ça aurait été encore plus la fête chouette pour vous ?
James : Participer à la création de Fluide Glacial en 1975, ça a dû être bien excitant oui, mais j'étais malheureusement un poil jeune à l'époque. C'est sûr qu'on mène un combat d'arrière-garde, mais s'il le faut ce sera jusqu'à notre dernier souffle car la cause est belle. Je suis ravi de pouvoir faire de la presse et j'ai la chance de pouvoir travailler pour des magazines mythiques, aux yeux de l'enfant et de l'ado que j'étais, comme Fluide et Spirou, mais également de travailler pour la presse d'information. C'est ce qui me fait vivre aujourd'hui. Le livre, c'est, malheureusement, du bonus. C'est aussi grâce à la presse que j'ai pu débuter, dans le journal de Mickey et brièvement dans Tchô. On a encore la chance d'avoir deux belles revues de création qui s'en sortent pas trop mal, et qui paient bien, à nous de tâcher d'y produire les meilleures bandes dessinées possibles. La chose un peu contradictoire est que, comme l'économie de la bande dessinée a basculé de la presse vers le livre depuis les années 80, travailler dans la presse est devenu déconsidéré et le livre a été sacralisé. Hors livre point de salut, du moins point d'estime. Si tu ne fais que de la presse, tu n'existes pas dans le milieu. Mais tu peux avoir beaucoup de lecteurs, contrairement au livre. A choisir, je préfère avoir des lecteurs.
Boris Mirroir se racle la gorge et sort un mouchoir de sa poche droite (Retrouvez chaque semaine ou presque Rob & Clunch dans le journal de Spirou et "Des Ailes et pas de Coui... Dieu Point Zéro" chaque mois ou presque dans le magazine Fluide Glacial, Ottoprod inc. les Humours).
4- La bd d'humour c'est un peu compliqué en ce moment, surtout quand on parle d'humour fin et drôle (moi je vous trouve fins et drôles). Mais comme tout est cyclique, vous avez l'impression qu'on est en train d'y revenir, un peu ?
James : J'espère. Oui, je suis un adepte de la méthode Coué. D'autant plus que je suis en train de monter Pataquès, une collection d'humour chez Delcourt. Il y a eu quelques beaux succès encourageants récemment avec Fabcaro ou Marion Montaigne par exemple. Mais ça reste une énigme pour moi, le fait que la bande dessinée d'humour ait du mal en ce moment en librairie. Car l'offre, dans l'ensemble, est meilleure qu'il y a quelques années et on a la chance d'avoir de très bons auteurs en France et en Belgique. Et puis c'est l'ADN de la BD. Elle vient de là, elle vient du strip et du cartoon. Même les histoires convenues avec des croix gammées en BD viennent de là finalement. Mais bon, on a visiblement un lectorat bédéphile très conservateur et assez âgé d'un côté, un lectorat plus jeune qui ne sort que très peu de la sphère du manga de l'autre... Avec Pataquès, on travaille sur de nouveaux formats, sur un ton contemporain pour tenter d'ouvrir une nouvelle voie.
Boris Mirroir place deux cachets de paracetamol à fondre dans un verre de Jack Daniel’s puis regarde par la fenêtre.
5 - Vous avez déjà songé à faire rien que des carrières solos et ne plus jamais bosser l'un avec l'autre, histoire de prouver au monde entier que vous existez tous les deux individuellement ?
James : Comme le chante si bien Jean-Jacques, on s'offre parfois une parenthèse, un sursis, avec des projets persos ou d'autres collaborations. Mais, sans notre rencontre, autour de 2002-2003 si ma mémoire poreuse ne fait pas trop défaut, sans la création du blog en 2005, je ne ferai sans doute plus de bande dessinée aujourd'hui. Je serais un vieux DA has been en agence. J'aurais laissé tombé face aux portes qui se fermaient. Le livre qui sort là, « Dieu Point Zéro » - oui, il faut toujours conclure avec un petit placement produit – est un peu un fil rouge dans notre collaboration. Une première version de la première histoire avait été faite en 2005 pour un collectif à la Boîte à Bulles. Puis, les autres histoires ont été publiées au fil des ans dans Fluide.A côté de ça, on réalise une page par semaine de Rob dans Spirou, on continue à travailler au quotidien ensemble. Et donc, pour répondre à ta question, non l'option de ne plus travailler ensemble ne se présente pas.
Boris Mirroir montre la couverture de "Dieu Point Zéro" ( scénarisé par James, illustré par Boris Mirroir, publié par Les Excellentes Éditions Fluide Glacial) et attrape, en toussant, une manette pour allumer la PS4.
Merci les copains ! Ce qui est con avec ces 5 questions max c'est que je n'ai pas eu le temps de vous demander si vous aviez une actu…tant pis