Special technique of Shadow boxing

Publié le par Le libraire se cache

Cette semaine, j'ai posé des questions à quelqu'un (de formidable) d'implanté dans le milieu de la bd sans être auteur pour autant. Il fait partie de ces gens que tout le monde connait et qui participe à de nombreux événements en tant qu’organisateur ou consultant. Il a très bon goût (la preuve, il connaissait ma musique avant de me connaitre moi), était un excellent libraire (il a ouvert une année tout là bas dans l’est une librairie éphémère pour Noël, et j’adore cette idée), a chapeauté une rencontre au sommet entre libraires pour un numéro spécial de Jade, et il a beau être partout, je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il fait en vrai de ses journées du quotidien. Il fallait donc que je lui pose des questions.

Woohoo, voici donc Mister June.

 

1- Ca fait dix bonnes années qu'on se côtoie virtuellement, que je vois qu'on aime les mêmes choses et pas qu'en bds, et je suis sûr que si on se retrouvait dans une grande salle de danse, je viendrais un peu timidement vers toi, en tout bien tout honneur pour commencer à discuter parce que t'as l'air sympa (et je ne vais jamais voir de gens pendant les boums). Quel est ton secret ?

 

Alors : régime diététique strict et jeune hebdomadaire, 6 heures de musculation quotidiennes, beaucoup de sport, un peu de gomina dans mes cheveux, voilà. 

Bon sinon, je vois bien que tu me dragues, mais je précise que pour moi ça fait pas dix ans : moi j'ai acheté un certain disque paru en 2004/2005, et même si tu le savais pas, ben je te connaissais donc indirectement du coup, et paf.

Mais oui, tu représentes un peu les fameuses amitiés numériques apparues avec la démocratisation du web : au fil des ans, je crois que j'ai fini par croiser toutes celles et tous ceux que j'ai "rencontré" via les internets, mis à part toi (et Tom de Myspace, aussi), c'est fou parce que depuis tout ce temps je pense qu'on pourrait danser des slows ensemble toute la nuit, c'est certain. 

 

2 - ça me fait penser que je n'ai absolument aucune idée de ce que tu fais dans la vie, depuis que tu n'es plus libraire. Tu es partout et nulle part à la fois, c'est à n'y rien comprendre.

 

J'ai moi aussi souvent l'impression d'être partout et nulle part, si ça peut te rassurer, et plus souvent qu'à mon tour mais pas au sens du citoyen du monde un peu néo-hippie, hein : juste, je suis un type très dispersé, c'est comme ça.

Après avoir été graphiste, disquaire ou encore libraire, je m'occupe depuis une dizaine d'années d'une petite association dont je suis, en gros, le coordinateur général. ChiFouMi, puisque c'est son nom, bosse à la valorisation, à la promotion (j'ai jamais su dire exactement...) de certaines des formes de bande dessinée contemporaines qui nous semblent stimulantes, chouettes, pertinentes et bien fichues. C'est très très subjectif, mais c'est très très assumé. Ça passe par des actions publiques, de la production d'exposition, de l'organisation de résidences de création collective, des ateliers pédagogiques, de la formation auprès des bibliothécaires, enseignants... Bref, partout où je peux aller expliquer que ce que font Daniel Zender, Keren Katz, Renaud Thomas ou Eleanor Davis, c'est vachement intéressant et surprenant et mû par les bonnes raisons, ben j'y vais. Du coup comme ça me fait un peu bouger de mon village de moins de 1000 habitants, j'en profite pour poster sur les internets -encore eux !- des photos des différents endroits où je me retrouve pour accompagner tout ça, histoire que l'on me renvoie l'image que je fais des tonnes de trucs dans mon travail, parce que faire des tonnes de trucs dans son travail, c'est bien, c'est le président qui le dit, c'est que ça doit être vrai. Bon, sauf contrairement au président, moi j'en vis assez mal mais bon : je suis autonome et indépendant et du coup ça règle mes problèmes personnels avec la notion de hiérarchie. Et comme tu le sais bien toi-même-tu-sais, c'est tout de même un truc assez incroyable de parler de ce que l'on aime toute la journée. J'ai aussi bossé en usine, je checke mes privilèges et j'évite de poster des photos de mon frigo vide au 15 du mois, quoi.

On va dire que c'est ChiFouMi qui prend l'essentiel de mon temps, alors je passe sur le reste qui n'est pas très intéressant pour les gens qui lisent ton blog et dont on sait qu'ils ne jurent toutes et tous que par la collection Vécu de chez Glénat, hein.


3 - Il y a une vraie culture comics que l'on retrouve dans les paroles et l'imagerie rap et pas forcément ailleurs (du Wu tang en passant par Mf Doom), excepté de temps à autres une couverture d'album. C'est dû à quoi, à ton avis ?

 

Ouais, tu dis ça parce que t'es complètement québlo sur le hip hop, bro, knowhatamsayin ? En fait quand on regarde dans d'autres girons on se rend compte que la bande dessinée a infusé tellement de personnes, à différents niveaux, qu'on peut par la suite retrouver dans leurs parcours de fréquents aller-retour dans les rapports entre musique et bande dessinée. Il y a plein de raisons à ça, les explosions culturelles concomitantes et simultanées auprès d'une large tranche générationnelle au premier plan. Et puis concernant le rap et le comics, ben même si c'est pas forcément toujours très glorieux, l'hégémonie culturelle ricaine sur le reste du monde, c'est pas un fantasme mais une réalité, hein. Je dis pas que c'est un absolu, et on sait bien qu'en vieillissant, on creuse un peu ailleurs et on y trouve des choses autrement satisfaisantes, mais quand t'es môme dans les 80's, difficile de passer à côté de la panoplie US quoi... C'est en tout cas un truc qui nous relie, cher ami, ça je l'ai bien compris. Mais par exemple, je suis bien plus soufflé par le nombre de découvertes que j'ai fait ces dernières années sur les liens qui relient les auteurs indé/alternatifs ricains et la scène punk, c'est beaucoup moins ténu et bien plus fréquent que dans le rap je trouve.

Bon mais du coup tu dis ça parce que tu te demandes pourquoi tu vends pas si bien que ça les bouquins d'Ed Piskor, c'est ça ? Je sais pas, parce que les gros amateurs de peura la connaissent par cœur, l'histoire du rap, et s'en tamponnent de la colorisation faussement vintage des bouquins de Piskor ? Parce qu'ils l'ont vu au FIBD à Angoulême il y a deux ans et qu'il les a saoulé avec son attitude de poseur complètement raccord avec le sujet qu'il traitait ? Bon personnellement, je vois "Hip Hop Family Tree" comme le haut du panier en terme de vulgarisation de l'histoire de ce sujet précis, et ça vaut davantage (à mes yeux) pour ces raisons là que pour les réelles qualités d'avoir opté pour le langage bande dessinée, je trouve... Piskor est un très très bon technicien, c'est certain, et je suis moins sûr qu'il soit un génial auteur, mais ça m'empêche pas d'apprécier son boulot car le sujet me parle, en gros. Un peu comme tous ces titres de vulgarisation, d'approches pédagogiques à la con que l'on voit fleurir ces dernières années. Parfois c'est bien fait, mais ça me laisse toujours un petit goût de "2018, voilà donc comment on se réapproprie la bande dessinée aujourd'hui", bon...". Comment ça, je digresse ? 

4 - Si tu avais le choix, tu serais éditeur, galeriste ou libraire ?

De manière éphémère ou avec davantage de longévité, je crois que j'ai modestement tâté des trois, mais ce que je préfère c'est parler des bouquins, donc plutôt libraire. D'ailleurs si tu veux ouvrir une succursale de ta boutique, sois gentil pense à moi et mon frigo vide au 15 du mois hein ?
Editeur/éditrice, ça demande des compétences folles s'il s'agit de l'être convenablement, incluant une vision singulière, un vrai amour de l'objet, et bien d'autres choses. Pour un Pauvert, un Losfeld, un Menu, un Kim Thompson, combien de fléaux, de parasites, de petits rongeurs qui pourraient tout aussi bien vendre des chaussettes ou des yaourts  ? Beaucoup trop, non ? Si je suis très critique à l'égard de la kyrielle de celles et ceux qui font très mal ce boulot, ou qui le font aux antipodes de ce que je projette dans le concept d'éditeur/éditrice, je sais aussi voir quand certain.e.s alignent des qualités requises que je suis loin d'avoir, eh eh eh. Et puis il y a déjà beaucoup trop de bouquins, les bons sont noyés dans le reste, comment faire ce job correctement ? Compliqué, non ?
Quant à galeriste, c'est mort, mon côté brigand ne passe malheureusement pas trop par le sens du commerce, uh uh.
Non, je crois que si je devais ralentir ChiFouMi, ce serait pour gagner au Loto et ouvrir ma librairie, clairement.


5 - Qu'est ce qui est pire, comme milieu, la bd mainstream, ou la bd indé ?

 

Ah ah ah ! Vaste question, j'ai envie de dire qu'on croise des tocards partout. Le sentiment de déception est toujours plus grand quand cela provient du milieu indé, mais c'est parce que je persiste à rester un grand idéaliste candide... En réalité on sait bien qu'il y a des gens chouettes partout, et des horreurs sur pattes aussi. Et puis la porosité incroyable du paysage éditorial d'aujourd'hui, le flou incroyable qui règne dans les étals des jolies boutiques comme la tienne, ça brouille encore plus les pistes non ?

 

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