The music was like wind in your hair

Publié le par Le libraire se cache

En ce moment, sans trop savoir pourquoi, je regarde tous les épisodes de Comedians in cars getting coffee, dans lesquels Seinfeld passe quelques heures avec des comiques de son choix (de Gad Elmaleh à Obama en passant par Larry David). Ils font un tour en voiture et un tour dans un café et rigolent ensemble car tous ils s'aiment bien. Je me dis que j'aurais dû faire pareil. Quitter mon métier de libraire pour sillonner les routes pour interviewer des auteurs Bd avec qui je rigolerais bien (mais je sais pas s'ils sont très nombreux, les auteurs Bd, avec qui je pourrais rigoler). Sauf que j'aime pas trop bouger de chez moi. Et que les voitures, bof. Et que j'ai pas 100 000€ pour chaque épisode. Le café par contre j'aime bien.

Bref, faut que j'y réfléchisse. 

Mais en attendant, c'est à l'écrit, et cette semaine j'ai posé des questions à un couple d'auteurs scénaristes parfaitement blindés de talent, chacun dans son genre respectif : Olivier Bocquet et Véro Cazot. Ils collectionnent les bons livres écrits par eux-mêmes et les prix qui leur sont décernés et en lisant leurs réponses, je me dis que j'aimerais bien les inviter à boire un café.

 

1 - Julie Rocheleau elle préfère qui ? Et comment en est-elle venue à travailler avec vous deux sur deux scénarios très différents ?

 

O : La BD, c’est le polyamour, mec. Julie est sans doute comme nous tous : elle aime plein de trucs différents. Moi par exemple j’aime les comédies anglaises et les polars sud-coréens et les prises de tête suédoises et les films sociaux français etc. Mais en tant que scénariste, je ne saurais pas écrire dans chacun des genres que j’aime. Mon domaine de compétence est très limité. L’avantage pour une dessinatrice, comme pour une actrice d’ailleurs, c’est de pouvoir investir tous les univers qui lui plaisent pour peu qu’on lui propose un scénario intéressant.

 

V : Voilà. Mais c’est quand même moi que Julie préfère parce que j’ai la peau douce et soyeuse.

Julie est une dessinatrice qui en a tellement sous la pédale qu’on peut à peu près tout lui proposer (pour peu que son style très particulier colle à notre histoire). Elle a tellement de créativité que je pense qu’elle s’ennuierait ferme si on lui proposait toujours le même genre d’histoires. C’est le genre de dessinatrice à qui on peut lancer des défis à chaque page, comme Brice Cossu, par exemple, un autre dessinateur surdoué d’Olivier. On peut tout leur demander, ils vont toujours plus loin que le truc génial que vous aviez en tête. Ils sont très énervants.

 

2 - qu'est ce qui est le plus difficile, écrire un roman, ou une Bd muette ?

 

O : Je pense qu’écrire une BD muette doit être horriblement difficile. Mais un roman aussi, hein. Enfin… pas difficile mais long, et solitaire, et chiant. Franchement, si j’ai arrêté mon second roman à la page 180, c’est parce qu’il m’en restait au moins autant à écrire et que je me sentais hyper seul devant mon ordinateur. Faire une BD, c’est quand même beaucoup plus marrant : pas besoin de faire des descriptions, quelqu’un se charge de les dessiner pour nous.

 

V : Le plus difficile, c’est d’écrire un roman muet. Hahaha.

Je ne sais pas si c’est beaucoup plus marrant d’écrire une BD (muette ou pas) parce qu’il y a une partie technique très importante. On lâche les rênes au moment du traitement de l’histoire, qui est une sorte de nouvelle plus ou moins détaillée et bien écrite, mais une fois les idées posées, il faut construire le scénario avec toutes sortes de contraintes : le nombre de pages souvent limité, le nombre de cases limité lui aussi au sein de chaque page, les limites de chaque dessinateur.trice également (certain.es rechignent à dessiner un peloton de cent cyclistes dans chaque case par exemple). On doit transformer ces limites en atouts pour écrire les scènes les plus fortes possible avec les éléments mis à notre disposition.

On peut mettre deux ou trois mois à écrire une histoire, mais il nous faut au moins un an ou deux pour l’adapter en scénario.

 

 

3 - Les scénarios d'Olivier tendent vers le polar (dur) tandis que ceux de Véro penchent plutôt du côté de la douceur du quotidien. C'est un reflet de vos caractères respectifs ?

 

V : Dans la vie, Olivier ressemble plus Frnck et Spirou qu’à Fantômas. Il a plus souvent envie de se marrer que de tuer des gens. Enfin je crois :)

De mon côté, je sais mieux écrire avec ma part lumineuse, mais dans la vie je ne suis pas que douceur, je suis très souvent vénère ! D’ailleurs, l’un de mes prochains albums aura la colère pour moteur. Je vous préviens, je vais sortir de mes gonds.

 

O : Ma plus grande ambition c’est de faire une comédie romantique, mais je n’ai jamais trouvé l’idée géniale. Peut-être que j’écris des choses qui ne me ressemblent pas justement parce que ça me sort de mon quotidien. La vérité c’est que la comédie romantique, je la vis tous les jours avec Vero !

 

V : Oui, mais là je te préviens, je vais sortir de mes gonds !

 

4 - J'ai posé une question similaire à Marie Gloris, mais il faut croire que ça m'intrigue : tu as été tentée, Véro, d'utiliser le nom d'Olivier pour ouvrir quelques portes, ou est-ce que ce milieu machiste est en train d'évoluer un peu ?

 

O : Quand on s’est rencontrés, Vero avait publié deux albums et moi zéro. C’est moi qui lui dois tout.

 

V : Il y a peu de maisons d’édition avec qui on a envie de travailler ou de retravailler, alors forcément on se partage un peu les mêmes. Pour la question du machisme, il se trouve que mes quatre albums publiés ont été édités par deux éditrices. Est-ce un hasard ? Est-ce que j’ai fait preuve moi aussi de sexisme en présentant mes projets en priorité à des femmes ou est-ce que j’étais conditionnée par la réputation machiste (fondée) de ce milieu ? Aujourd’hui, je travaille aussi avec un éditeur masculin et je les contacte avec moins de préjugés. Le milieu de la BD est en bonne voie d’évolution, mais il avance beaucoup moins vite que le milieu de l’audiovisuel par exemple où l’on valorise beaucoup le travail des autrices et des réalisatrices de films et de séries depuis quelques années. Puisque tu cites Marie Gloris, c’est vrai que le « collectif des créatrices de BD contre le sexisme » a bien fait bouger les choses. Le travail des femmes commence à être plus visible, plus reconnu. Ça ouvre plein de nouveaux horizons pour les lecteurs et lectrices et plein de perspectives encourageantes pour les nouvelles générations de femmes.

 

 

5 - Ce qui me frappe (pour de vrai) dans vos scénarios à l'un comme l'autre c'est que, sur des terrains archi vus et revus, vous parvenez parfaitement à éviter le déjà vu. Vous travaillez ensemble, quelque part, en donnant votre avis sur le travail de l'autre ?

 

V : On intervient plus sur le moral des troupes que sur le travail en lui-même. Après, il nous arrive de nous concerter dans les moments de blocage ou de doute. Mais même si nous sommes chacun le premier fan de l’autre, on travaille vraiment chacun de notre côté, chacun pour soi. Par contre, j’ai souvent besoin de faire lire mon travail à Olivier avant de l’envoyer chez un éditeur parce que c’est un très bon lecteur de scénario. Ça ne remet pas forcément en cause mon travail s’il n’est pas emballé, ça m’aide juste à faire le point sur ma propre satisfaction. Si je l’envoie quand même, c’est que je crois vraiment en mon projet. Sinon, je le mets de côté, pour le laisser mûrir ou mourir.

 

O : Au fond, je n’écris que pour Vero, tu comprendras que si elle a déjà lu ce truc ailleurs, c’est embarrassant. Plus généralement, je garde toujours en tête cette phrase accrochée dans la salle d’écriture de Lost : « Jamais la première idée... et jamais la seconde non plus ». En tant que lecteur ou que spectateur, je déteste cette sensation trop fréquente de savoir comment une scène va se dérouler dès sa première ligne, case ou réplique... et de voir qu’elle se déroule exactement comme prévu ! Surprendre pour surprendre n’a pas grand intérêt non plus, mais disons que je me fixe comme objectif de servir des histoires fraîches, pas des trucs réchauffés. Dans mon cas ça ne signifie pas inventer des histoires inédites, mais plutôt trouver un nouvel angle à des histoires « classiques ». Exactement ce que tu as constaté, donc. Me voilà soulagé.

 

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