If I should fall from grace with God
Je l’ai mentionné quelques fois : je ne fréquentais pas de blogs avant de lancer le mien et ai tout découvert sur le tas. Un de ces petits tas était le blog de Marc Dubuisson, avec principalement son webcomic absolument brillant qu’était La nostalgie de Dieu. On est vite devenus copains d’internet (entendez par là que je lui ai dit qu’il était beau et qu’il m’a dit que moi aussi) et c’est naturellement que je lui ai demandé, en copain, de répondre à mes questions. Et accessoirement je vous recommande chaleureusement de suivre ses strips sur les réseaux sociaux, parce que bon quand même, c’est un métier excessivement difficile que celui de montrer qu’il y a autre chose que du Plantu en ce monde (see what I did ?)
- La popularité (méritée tellement tu es drôle) sur internet ne se traduit pas forcément par la même dans la vraie vie des vrais journaux de faut bien vivre. Ca a été compliqué pour toi de t'affirmer ? Pas trop compliqué d'être confronté à la réalité du dessinateur de presse ?
C’est en effet excessivement frustrant d’être lu et partagé par des milliers de personnes chaque jour sans forcément éveiller l’intérêt de la presse. D’un autre côté, je suis conscient que beaucoup de dessinateur·rices tentent leur chance dans ce milieu et que mon style graphique simple et naïf est loin du trait traditionnel qu’on peut rencontrer dans les journaux.
Mais j’ai décidé d’en faire un atout pour me démarquer. Et à force de poster mes strips sur Twitter et Facebook, de lancer ponctuellement des annonces sur les réseaux sociaux, j’ai finalement réussi à trouver suffisamment de contrats pour pouvoir prendre un congé sans solde dans mon emploi alimentaire et vivre (pour l’instant) de mes dessins.
La popularité ou la notoriété sur internet sont donc bien sûr un atout, mais hélas, cela n’empêche pas de devoir continuer sans cesse à chercher des commandes à gauche et à droite, sans oublier que la notoriété (aussi modeste soit la mienne), ne s’acquiert pas du jour au lendemain. J’ai ouvert mon premier blog BD en 2005 et même si, entre-temps, j’ai déjà sorti quelques livres, je ne vis réellement de mes dessins que depuis l’année dernière.
- Il vaut mieux quoi, un editeur du pignon sur rue qui s'occupe vaguement de ton album mais qui t'en vend 2 000, ou un petit éditeur qui se démène comme il peut et qui t'en vend 200 ?
C’est plus compliqué que ça, en fait. J’ai la chance d’avoir un petit éditeur qui se démène comme il peut mais qui m’en vend quand même 2000 (voire plus). Néanmoins, même si artistiquement, c’est génial, financièrement (malheureusement, le nerf de la guerre), ce n’est pas forcément intéressant. Au moment de payer les factures, l'à-valoir du gros éditeur reste un avantage certain.
Pour ma part, j’ai choisi de faire les deux : bosser sur certains projets avec de gros éditeurs et sur d’autres avec Lapin. D’autant que mon prochain livre chez Delcourt a été réalisé sous la houlette de James, en qui j’ai une totale confiance et qui, étant lui-même auteur, connaît nos difficultés et défend plus volontiers ses poulains. C’est un peu comme bosser pour un petit éditeur mais à l’intérieur d’une grosse structure.
- Tu la gères comment, la censure (pas l'auto-censure hein) ? Je pense notamment à la pièce de théâtre La nostalgie de Dieu…
J’ai la chance d’y avoir été peu confronté. Il y a certes eu de petites polémiques quand le tome 1 de La Nostalgie de Dieu a gagné le Prix du Meilleur premier album en marge du festival amiénois “On a marché sur la bulle” et quelques affiches arrachées pour l’adaptation théâtrale mais à part ça, je n’ai jamais eu aucun souci. Ca m’a même fait un peu de pub, au final.
Le journal Les Echos, avec lequel je collabore depuis 2 ans, ne m’a jamais refusé un seul strip. Bon, évidemment, je m’adapte aux attentes éditoriales de mon client mais toujours en restant moi-même. Jamais je ne ferai un dessin que je n’assume pas juste pour faire plaisir au journal pour lequel je bosse ou à ses lecteur·rices.
- On a le droit de ne pas faire de ligne claire quand on vit en Belgique ?
Oui, mais alors il faut faire des gros nez. Personnellement, je ne fais ni l’une ni l’autre (ma ligne est trop claire, pour le coup). Ca doit être pour cela qu’on ne m’invite jamais à dédicacer en Belgique.
- C'est quoi le plus compliqué, faire de la bd avec James, ou devoir trouver l'inspiration jour après jour (ou semaine après semaine, allez) pour la presse et être obligé de la lire ?
Honnêtement, je me demande parfois ce qui me prend de faire ce boulot. C’est de la prise de tête 24h/24, à lire des articles, survoler les réseaux sociaux, regarder les JT,... puis de mélanger tout ça dans sa tête pour ressortir des trucs un peu rigolos sur des sujets absolument déprimants. En plus, quand, comme moi, on a des tendances dépressives, suivre les infos jour après jour est loin d’être une sinécure.
Le plus dur, en fait, c’est de se rendre compte que l’actu est toujours un peu la même, que les mêmes erreurs sont répétées jours après jours, que les choses changent difficilement.
A côté de ça, il y a un côté gratifiant à parvenir à trouver une bonne idée sur un sujet qu’on n’a pas forcément choisi et à parfois amener un point de vue différent à des gens aux visions opposées. Malgré tout, j’aimerais parfois pouvoir faire de longues pauses, me concentrer sur des histoires fictives n’ayant pas trait à l’actualité. Malheureusement, je n’ai pas le talent nécessaire pour dessiner ce genre d’histoires et je dois passer mon temps à chercher des dessinateur·rices en plus de démarcher les éditeurs, ce qui est usant.
Alors, en attendant, je continue mes strips sociétaux, en attendant de pouvoir montrer de quoi je suis aussi capable en tant que scénariste.