Un petit bouquet d'églantines (je suis pas allé le chercher loin ce titre)
Personne ne l'a vu venir, ce succès incroyable. Un tirage à quelques milliers d'exemplaires, et soudain tout le monde s'affole : les libraires, la presse, les lecteurs. Le bouche à oreille est hallucinant pour ce petit objet qui ne paie pas de mine, avec ce titre qui donne envie d'aller siffler là haut sur la colline avec un poireau à la main (je parle littéralement hein), et juste comme ça 3 ans après sa sortie, il dépasse allègrement les 100 000 exemplaires, et il ne semble pas encore en bout de course, loin de là. Fabcaro est drôle. Extrêmement. Et il le prouve depuis très longtemps chez de nombreux éditeurs différents avec des styles différents. L'un de ces éditeurs, 6 pieds sous terre, lui fait confiance depuis longtemps et a su éditer, mine de rien, l'une des bds les plus marquantes de ces dernières années (et encore une fois, sortie de nulle part, comme quoi c'est encore possible en ces temps de marketing à outrance). Merci à Fabcaro et à son éditeur, Jiip Garn, d'avoir répondu à mes questions ! Et lisez Et si l'amour c'était aimer, tant que vous y êtes (et tous les livres de Fabcaro, allez), les ricanements seul dans son coin sont garantis. Moi je les aime bien, ces ricanements.
En général, quand on sort un livre, on cherche à être correctement indexé. C'est pourquoi certains chanteurs (oui pardon là c'est de la musique) choisissent des pseudos qui commencent par A, pour être tout devant dans les bacs. Là, visiblement, avec Zai Zai Zai Zai, vous n'avez pas choisi la simplicité (on sait jamais combien ya de Zai ni comment faire la recherche). Vous y avez pensé, à cet élément, ou est ce que c'est le cadet de vos soucis ?
F – Ah ah, oui tu as raison, on aurait dû appeler ça 'Aïe aïe aïe aïe' pour être en début de liste, mais c'est moins vendeur, ça fait un peu peur... Sérieusement, j'avais super envie d'appeler un album 'Zaï zaï zaï zaï', mais finalement ça s'avère être la pire idée du monde : c'est chiant à prononcer et à écrire, et la moitié des gens (dont moi parfois) oublient un zaï.
J : De notre côté (éditeur), nous essayons simplement de voir si le titre semble pertinent au récit et sonne bien en soi. Ça donne parfois lieu à de très longues concertations avec l'auteur et parfois c'est immédiatement limpide. S'ajouter la barrière de l'indexation alphabétique, c'est un peu s'ajouter des soucis pour pas grand chose, Tu noteras cependant qu'on s'appelle “6 Pieds sous terre”, les chiffres étant en tête de ce type d'indexation... et donc si on n'en tient pas compte pour les livres, ça a quand même fait partie des éléments de réflexion pour le nom de la maison. Du coup, ça m'agace toujours un peu quand les gens écrivent “Six pieds”.
Je discutais avec une amie écrivaine qui me disait que c'était pas simple de faire une tournée promo après un roman car il était déjà loin derrière elle, qu'elle était déjà passée à la suite. Ca fait pareil avec toutes les rééditions Fabcaro suite au succès de Zaix4 ? On est heureux de revoir mis en avant des titres qui n'avaient pas tout à fait trouvé leur public, ou est-ce qu'on lève un peu les yeux au ciel ?
F – Les rééditions après un succès ça fait partie de la règle du jeu, et ça permet aux lecteurs de redécouvrir des vieux trucs, souvent plus disponibles, donc c'est plutôt chouette, à condition que le lecteur soit prévenu de la chronologie de parution et qu'il ne l'appréhende pas comme une nouveauté, parce qu'il y a une évolution logique dans les parutions au fil des ans. A titre personnel je vais plutôt de l'avant, je ne me retourne pas trop sur ce que j'ai fait. Dès lors que j'ai envoyé mes pages à l'éditeur, je suis déjà sur autre chose.
J : Je ne peux que confirmer que les titres précédents de Fab ont été fortement remis en lumière grâce à Zaï Zaï Zaï Zaï et ont été découverts par un nouveau lectorat. Nous savons très bien qu'à notre niveau de petit éditeur, trouver les lecteurs aux ouvrages est ardu, Le succès de Fabcaro nous a apporté une nouvelle visibilité, non seulement sur ses anciens livres mais également sur la plupart du catalogue de 6 Pieds. Nous en profitons d'ailleurs actuellement pour rééditer beaucoup d'ouvrages en voie d'épuisement et constatons que cette nouvelle visibilité fonctionne véritablement, à divers niveaux. Ça réchauffe le cœur de voir que beaucoup de livres ne sont pas morts et qu'ils ont encore des lecteurs à trouver.
En parlant de marketing, il aurait été tentant de refaire le même format pour Et si l'amour c'était aimer que Zaix4, et pourtant ça en prend presque le contre-pied, avec en plus un prix parfaitement abordable (et je rappelle que le prix ne change pas grand chose en termes de ventes). C'est fait expres de ne pas tomber dans la facilité, ou c'est de l'inconscience ?
F – Alors moi je vais répondre d'un point de vue purement technique : j'ai dessiné ZZZZ sur des feuilles A4, donc le livre s'est retrouvé naturellement un poil plus petit. Quant à 'Et si l'amour', comme j'avais envie de beaucoup plus dessiner, d'aller vers un style plus riche graphiquement, j'ai dessiné sur du A3, et donc ça donne un livre environ format A4 pour ne pas trop réduire. Euh je sais pas si je suis très clair...
J : Je rejoins totalement Fabcaro sur ce point. Le projet décide du format (taille, papier, souple ou cartonné, etc.). Les collections sont déjà pensées et définies, même si toujours en légère évolution. Il n'est pas question de penser un contenu pour un contenant, c'est l'inverse qui préside. L'espèce de gain misérable supposé à prolonger une formule donne souvent le pire de l'entertainment (même si pas toujours), on se situe à un niveau suffisamment humain et familial pour ne pas se sentir obligé d'en passer par là. Concernant le prix, les tirages plus importants des livres de Fabcaro nous permettent en toute conscience de fixer ce qui nous semble être le prix juste par rapport à l'objet et même d'en faire bénéficier des livres d'autres auteurs qui seront fabriqués au cours d'un tirage commun. Je n'ai rien contre la facilité du moment qu'elle reste décente. L'espèce de “prix psychologique maximum” qui peut présider souvent à sa définition est un fait (les 9,95 / 9,99 ou 19,95 etc. Ou tout simplement les prix déconnectés des coûts) mais c'est des circonvolutions marketing assez pathétiques. Si on peut s'offrir le luxe de ne pas en tenir compte, ne nous en privons pas. Trop souvent, de par nos petits tirages et les choix de matériaux, les coûts de fabrication sont élevés et font des livres assez chers. Du coup, pouvoir s'offrir un prix bas quand c'est possible, ça ne se refuse pas...
Ça change quoi, concrètement, pour un éditeur, un succès inattendu (et mérité ?) ? Pour un auteur, j'imagine un peu (ça permet d'acheter du beurre), mais est ce que ça ouvre un paquet de portes, notamment là où il ne te viendrait pas l'idée d'aller ?
F – C'est sûr que les éditeurs sont beaucop plus demandeurs depuis ZZZZ, mais comme on ne peut pas être partout et que je me trouve déjà trop présent de par ma (sur)production, j'essaie de ne pas trop me disperser et continuer à travailler en privilégiant les éditeurs amis. En l'occurrence, ZZZZ m'a surtout fait découvrir d'autres milieux, ciné, théâtre, télé...
J : Je pense surtout qu'il ne faut pas s'emballer, les crises de croissantes sont périlleuses et on a pu voir beaucoup de petits éditeurs (et pas que des éditeurs d'ailleurs) s'embourber dans des nouveaux problèmes induits par ça, voire replonger dans des périodes difficiles. Ce succès est évidemment un luxe à vivre en tant qu'éditeur, il nous permet avant tout de préparer la suite avec beaucoup plus de sérénité, de ne pas se retrouver dans des impasses face à des projets et un calendrier incompatibles avec la trésorerie du moment. Ça nous ouvre aussi de la notoriété et donc des portes dans beaucoup de directions et on reçoit beaucoup de propositions de toutes sortes. L'important est justement de ne pas s'emballer car, au final, on s'est construit tout seul, en travaillant patiemment avec les auteurs et faisant face aux adversités diverses. Donc, les portes qui s'ouvrent “après”, certes c'est une étape, mais elles n'étaient curieusement pas autant ouvertes “avant”, point qu'il ne faut pas perdre de vue.
Comment on fait pour déterminer quel projet ira vers quel éditeur ? Ou est ce que ça s'impose de soi-même. Et en tant qu'éditeur, on est vexé un peu parfois quand un projet nous est pas proposé en preums ?
F – Il peut y avoir deux démarches. Soit je me dis 'Tiens je vais me lancer dans un projet pour 6 pieds sous terre...' et dans ce cas je réfléchis à des choses avec un ton et un univers spécifiques, soit je pars sur un projet qui m'amuse et je vois en fonction de l'esprit et du ton qui se dégagent chez qui ça pourrait aller.
J : A titre perso, je me vexe facilement, du coup, c'est une question difficile :D
Mais bon, non, il est absolument normal que les auteurs fassent le tour des possibilités qui s'offrent à eux, la façon dont ils souhaitent travailler, avec qui, dans quelle ambiance, pour quelle somme. Il faut bien accepter ce jeu-là même si parfois ça fait un peu mal. D'autant que l'inverse est vrai aussi, un auteur peut penser qu'on va naturellement accepter son nouveau projet alors qu'on ne le sent pas pour nous et allons le refuser. Le point le plus dur pour moi (je ne dis même plus “nous” ne pouvant pas non plus me mettre à la place de mes collègues), c'est la façon dont les gros éditeurs viennent un peu faire leur marché, régulièrement, dans le catalogue des petits. C'est à la fois normal et frustrant. Normal parce que bien évidemment, un auteur doit vivre de son travail et qu'on ne fait pas forcément le poids, financièrement, en terme de paiement et il faut accepter ça, c'est tout à fait logique. Et frustrant parce que parfois on construit des choses, dans la longueur, c'est un peu comme planter un arbre. Du coup, on aime bien voir les fruits pousser et pouvoir les cueillir le moment venu. Mais tellement de paramètres vitaux entrent en jeu que cette démarche reste compliquée. Et tout le monde tente de faire au mieux. Les éditeurs comme les auteurs sont bien conscients de ça, tout le monde doit accepter ces cheminements là. Le fait de les formuler me semble d'ailleurs très sain.