Keep me running, running scared

Publié le par Le libraire se cache

En cette rentrée chargée d’excellents titres (j’ai beau être d’un naturel cynico-j’aimerien, suis enthousiaste pour de vrai au sujet de tout plein de bds), il en est une qui sort du lot : Moi ce que j’aime c’est les monstres, d’Emil Ferris. Une success story à l’Américaine éditée par les éditions Monsieur Toussaint Louverture. Une maison d’édition relativement jeune, mais qui a su s’imposer grâce à quelques titres audacieux et surtout des maquettes immédiatement reconnaissables qui donnent envie d’ouvrir les livres. C’est important d’avoir envie d’ouvrir les livres. J’ouvre souvent des cartons avec des livres dedans, mais j’ai vite envie de les renvoyer dans la foulée tellement l’objet n’a pas été réfléchi. Il faut réfléchir. C’est important de réfléchir. Ça évite les retours (CQFD).

 

J’ai donc posé des questions à Dominique Bordes, l’éditeur derrière tout ça, que je remercie chaleureusement pour ses réponses.

 

Est-ce que, dès le départ, vous aviez compris (et pour moi c'est essentiel) que l'objet livre compte autant que le fond ?

 

Je ne l'avais pas formulé aussi clairement que ça, ça aurait été trop facile, je me suis appuyé sur mon propre intérêt, essayant de comprendre pourquoi j'avais envie de posséder des livres sans même connaître l'auteur ou le contenu, j'ai voulu seulement provoquer ça chez les gens. Puis petit à petit, c'est devenu un jeu sur les matières, sur le renouvellement des détails de ce qui fait un livre.

 

Et qu'il faut partir sur une collection immédiatement reconnaissable, même si on a tendance à mettre un l'à l'ouverture (mais ça c'est mon manque de culture générale) ?

 

Moi, je ne suis pas trop collection, j'ai trouvé plus facile de tout appeler Monsieur Toussaint Louverture le plus souvent possible pour que ça rentre dans le crâne des gens. 

 


Tout comme Gallmeister, vous exhumez parfois des titres soit trop mal traduits, soit trop passés inaperçus à l'époque, soit trop oubliés aujourd'hui. C'est aussi jouissif en tant qu'éditeur que de découvrir de nouveaux talents ?

 

Oui, même si ce n'est pas aussi simple, car on ne "découvre" jamais, on construit "la découverte" dans le regard des autres, donc cette émotion, ce plaisir  (le côté jouissif) est à la fois mis en sourdine et à la fois surjoué dans le cadre d'une stratégie consciente ou inconsciente de contamination des autres. Ensuite, personnellement, je suis tellement dans le texte, immergé dans son fonctionnement profond, sa mécanique, que j'en perds le plaisir qu'il a à me donner (comme, je suppose, un chirurgien ne voit plus l'humain mais seulement un organisme réparable).

 


Ca s'est passé comment l'achat de droits de Moi ce que j'aime c'est les monstres ?

 

Chaud ! Beaucoup d'éditeurs étaient sur le coup et les enchères sont montées très haut ! Mais ça nous a permis de dresser un plan de tout ce que nous pouvions faire pour le livre, tout ce que nous pouvions inventer pour qu'il existe de manière forte alors que nous sommes personne, qu'il est génial mais spécial. 

 

Comment on fait pour transmettre sa passion à l'équipe commerciale, pour qu'elle même nous transmette son enthousiasme (impressionnant sur ce coup ci) pour que nous mêmes soyons foufous et que les lecteurs encore plus ?

 

C'est à la fois un long processus qu'on a entamé très tôt, en enchaînant plein de petites choses, de petites actions, de petites idées. Que ce soit nous ou notre diffuseur, nous ne sommes pas habitués aux gros lancements. C'est un travail de conviction qu'il faut apporter d'abord à la direction commerciale puis aux représentants. Non seulement être convainquant (pour lever les doutes) en ayant bien préparé (pendant des mois) la façon dont on va parler du livre et de l'auteur (pour que ce soit enthousiaste sans être exagéré, et fort sans être mensonger), mais avoir anticipé toutes les questions, toutes les choses qui pourraient freiner ou perturber le message. Le but est de leur transmettre de l'envie de lire le livre (à minima), de bonnes raisons de le défendre, de bonnes façons de le faire (ou plutôt celles que j'ai décidé, après réflexion et travail avec mon équipe, comme étant bonnes) et de les prévenir des éventuelles chausse-trappes. Je compare ce travail à la contamination par radioactivité, je suis du radium (mais un radium sympa), je me dois d'être le plus radioactif possible, pour contaminer tous ceux qui sont à mon contact proche, pour qu'ils soient contaminés et radioactifs à leur tour (même si c'est moins rayonnant) pour qu'ils puissent contaminer à leur tour (avec déperdition) etc.   

 

 


Toute l'histoire autour d'Emil Ferris parait presque trop romanesque. Il y a un moment où vous vous êtes dit que c'était ptet pour de faux et que ça risquait de faire comme avec JT Leroy ?

 

Je pense que tout est vrai, que tout est bien arrivé, mais que la façon de le compacter en quelques lignes, de le raconter a donné à l'ensemble une forme de caractère romanesque indéniable. 

 

 

 

C'est quoi, d'un point de vue de l'éditeur, les différences majeures entre le circuit spécialiste bd et le circuit littérature générale ?

 

C'est une question que je me pose beaucoup car je travaille avec les spécialistes bd depuis peu. J'en suis encore au point où je cherche ces différences pour ne pas commettre d'impair, de maladresse. Cependant je me comporte de la même manière avec les deux, j'essaie de fournir tout ce que je peux aux libraires pour qu'ils comprennent pourquoi je publie tel ou tel livre et qu'ils le vendent le mieux possible et qu'ils soient contents de le faire, que cette vente ne se fasse pas malgré eux.

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