Bear witness as I exercise my exorcism
Après 10 ans à tapoter sur un clavier et publier sur un blog, j'ai compris qu'il fallait éviter certains jours et heures sous peine de se retrouver dans les limbes de l'internet. Le lundi après-midi en fait un peu partie, et une veille de jour férié encore plus (le pire move de gros noob à faire étant de publier un dimanche après-midi). Aujourd'hui lundi 31 décembre à 14h33 me paraît dont une heure parfaitement indiquée pour parler de moi.
Enfin, pour encore plus parler de moi, j'entends.
Je vous ai demandé ici et là de me poser des questions, faisant écho à toutes celles que j'ai pu poser aux personnes du milieu pendant quasiment un an, et j'ai bien l'intention de me livrer à cœur ouvert devant vous. Je les reprends dans l'ordre, sans trop réfléchir, sans même citer ceux qui les ont posées (désolé).
En cette veille de jour férié, donc.
Comme ça, j'ai un peu moins l'impression d'un exercice ego-centré vaniteux.
Un peu moins.
1 - Pourquoi la barbe ?
Alors oui, tout le monde n'a pas nécessairement eu la chance de me croiser ou de voir ma photo, mais oui, je porte la barbe. Il paraît que les hommes qui en portent une ont quelque chose à cacher. Moi c'est juste que je déteste me raser. Rien d'esthétique là dedans. Mais cette sensation de peau tirée là quand on est rasé, c'est insupportable. Et accessoirement, c'est ma botte secrète pour rajeunir de 10 ans du jour au lendemain quand je ferai ma crise de la...heu...hum...quand je ferai une crise.
2 – Y a-t-il des Bds sur-cotées ou sous-cotées . Comment définir une bonne bd ?
Boh, je sais pas. J'ai un très fort esprit de contradiction qui a tendance à se méfier du plus petit dénominateur commun. Autrement dit, suis un peu snob parfois dans mes goûts personnels (un peu) et parfois dubitatif concernant les titres encensés par mes confrères, mais suis complètement déformé professionnellement. La question que je me pose toujours en lisant une Bd n'est pas de savoir si moi j'aime bien, mais si ça va plaire à quelqu'un, et si oui, à quel type de lectorat. Cette année, dans notre milieu, il n'y en avait que pour Cinq Branches de coton noir et Il faut flinguer Ramirez (en plus du Emil Ferris), donc peut-être rentrent-elles dans une case surcotée, j'en sais rien. Ramirez est quand même rudement bien foutu, dans le genre. Ce qui est sûr, c'est que la cote ne se mesure pas au nombre de ventes, mais plutôt au fait de savoir si la bd trouve ou non son public. Un auteur adulé de la presse mais qui ne vend que 10 000 est-il sous-côté ? Vous avez deux heures.
J'ai un test très simple pour définir si une bd est bonne : si j'ai envie de la lire en entier, alors oui. C'est aussi bête que ça. Il y en a beaucoup que je ne finis pas (that's what she said).
3 - Refusez vous certaines bds en boutique ?
On peut refuser un livre pour deux raisons : une question morale et une question commerciale. J'en refuse régulièrement pour la seconde raison, bêtement parce que je commence à connaître ma clientèle et que je ne vais pas commander un livre que personne ne me demandera jamais et qui fera juste un aller retour. Je fais des exceptions pour les plus petits éditeurs car je tiens à les soutenir à ma façon (même si ca veut dire en renvoyer la moitié), mais ce ne sont pas de grosses quantités. Mais bon, sur 3 500 nouveautés par an, je dois bien en voir passer 3 000 en magasin, c'est pas si mal.
La question morale, c'est encore autre chose, mais en bd on est un peu plus à l'abri des lignes éditoriales douteuses (malgré un exemple bien trop connu).
4- Que pensez-vous du livre numérique ? Malgré le développement du numérique, des téléchargements, pensez vous qu'il restera toujours d'irréductibles lecteurs ayant besoin de sentir, physiquement et olfactivement, leur BD ?
Il y a 5 ans, le monde entier annonçait la mort de l'édition papier et le raz-de-marée numérique mené par la vague Amazon Kindle et la preuve, regardez les Etats-Unis.
Bon.
Là on en est à 4% du chiffre d'affaires en littérature qui sont faits avec le numérique. Je n'ai pas les chiffres Bd, mais je ne serais pas étonné qu'ils se situent en dessous de 2%. Surtout que le lecteur Bd aime bien cette notion de collection et d'accumulation avec de jolis albums dans sa bibliothèque. Il aime bien râler aussi en disant qu'il n'a plus de place, que ohlala il en a trop, mais le lecteur trouve toujours une solution.
Perso, je n'ai absolument rien contre le numérique, ni les liseuses (20% des gens ont lu un livre numérique, il paraît, et 20% de ces gens là (donc 4%) l'ont fait sur liseuse), même si je n'en possède pas. J'ai un rapport bien trop physique à la lecture, si j'ose m'exprimer ainsi.
5 - Meilleure phrase pour commencer la discussion alors que tu lis en mangeant ?
- Bonjour, ce ne serait pas vous, par hasard, sur la jaquette du livre que vous lisez ?
6- Un lien entre le pseudo et Les oiseaux se cachent pour mourir ?
Oh c'est même plus qu'un lien, c'est la raison pour le titre du blog. Je brainstormais avec moi-même à la recherche d'un titre percutant, et celui-là me faisait rire.
7 - Vous vous ennuyez parfois dans votre boutique? Y'a t'il des parties du métier vraiment lassantes?
Au cœur du mois d'aout, les journées peuvent être un peu longuettes vu que globalement, mon boulot est tout à jour. Mais sinon nan, j'ai largement de quoi m'occuper même quand personne ne franchit le pas de la porte ! En 12 ans de métier j'ai dû lire 1 ou 2 Bds grand max sur mon temps de travail. Il faut dire que je passe beaucoup trop de temps sur les réseaux sociaux (pouf pouf).
Le pire moment du métier c'est celui qui vient, là. On se prépare pendant 6 mois pour la période de Noël, on est tout foufou, on bosse comme des dingues (enfin, comme des libraires hein, faut pas exagérer, mais pour nous c'est beaucoup), c'est l'effervescence de partout et soudain tout s'arrête et c'est le retour à la routine, aux nuits longues et à la grisaille. Y'a bien les retours à faire et le palmarès Angoulême à discuter, mais c'est un peu maigre en attendant le printemps (j'aime bien le printemps, je revis au printemps. Je suis la personne la moins originale de la planète).
Ce qui me gonfle le plus au final ce sont les cycles qui se répètent à l'infini. Mais bon, au moins ce sont des cycles et non des journées. J'ai du mal avec les heures fixes imposées, aussi. Je ne peux pas allonger un déjeuner si je le veux ou venir un peu plus tard ou prendre une demi-journée. Il faudrait que je tente le télétravail, tiens, faire du conseil par Skype.
8 - Avez vous toujours aimé lire?
Aussi loin que je me souvienne...
Bon en fait non, pas plus que ça. J'ai toujours un peu lu, mais je n'engloutissais pas pour autant tout ce qui passait. Je lisais beaucoup de Bds americaines dans les années 80 et 90 que je ramenais de mes vacances (du Archie's et tous les comic strips qui m'influencent encore aujourd'hui, tels que Calvin & Hobbes, Far Side, Bloom County, Peanuts etc.) et beaucoup de Pif Gadget et Picsou magazine, que je connaissais par cœur, mais je n'avais pas de collection débordante.
Je ne lisais qu'en anglais, dans mon adolescence et je piochais dans la bibliothèque de ma mère, qui elle lit rien que des trucs qui font peur (j'ai lu tous les Stephen King, je pense et tous les Dean Koontz). C'est que vers 25-30 ans que je me suis mis sérieusement à la lecture, avec cette sensation d'avoir un monde à rattraper et de faire des découvertes incroyables tous les 2 jours.
Pour résumer : les germes étaient là sans que je ne m'en rende compte et ma passion se situait plus du côté sport (là pour le coup j'en ai toujours fait) que du côté cérébral.
9 - Avez vous écrit autre chose que pour le blog?
J'ai commencé il y a 20 ans quasiment par des chroniques musicales pour un webzine qui avait son petit succès (hiphopsection représente), ce qui m'a donné le goût d'écrire.
Et puis j'ai découvert Philippe Jaenada (enfin, ses livres dans un premier temps). P'têt le tournant de ma petite vie, finalement. Je l'ai honteusement copié sans m'en rendre compte avant de m'émanciper petit à petit et trouver mon propre style, mais c'est lui qui m'a donné envie de voir si j'étais capable d'écrire quelque chose d'un peu plus long.
J'ai écrit pour Bodoï brièvement et dans Tind ainsi que pour Clique.
En 2015 j'ai écrit un roman dont je suis pas mal fier, ne serait-ce que parce que j'ai réussi à le terminer, et je pense qu'on ne se rend jamais vraiment compte de la difficulté d'écrire. Pas dans le sens où il faut puiser au fond de soi-même pour s'arracher sa substantifique moelle, mais plutôt parce que c'est beaucoup de travail et de concentration et que la mienne se situe au niveau de celle d'un enfant de 4 ans. Je l'ai proposé à quelques éditeurs qui l'ont refusé, mais je n'ai pas non plus persévéré. Il faudrait que j'y retourne !
10- Ca te fait quoi quand tu remplis un carton de retour de livres ?
La plupart du temps ça me rend heureux car ça veut dire que je libère de la place. Mais c'est vrai que de temps en temps je pense au boulot qu'il y a eu derrière tout ça et de l'injustice d'être noyé dans la masse, quand on est auteur. Difficile de ne pas ressortir cynique de ce milieu.
11- Et si, dans un monde parallèle infâme, le libraire n'était pas libraire. Il serait quoi ?
Alors là...J'ai passé un bac ES, puis j'ai passé une maitrise LEA option commerce international Anglais – Allemand (difficile de ne pas être traumatisé par cette langue, mais en échange j'ai rencontré des gens épatants à la fac, donc je ne regrette aucunement ce traumatisme). Après ça j'ai bossé pour une start-up (c'était en 200-2002, quand les start up fleurissaient pour mieux faner et qu'on venait tous bosser en rollers) où j'étais chargé de communication. C’était absolument génial et formateur. Après ça, j'ai été saltimbanque électronique et je parcourais en duo (coucou Detect) les salles de concert qui voulaient bien de nous.
L'opportunité d'être libraire s'est présentée quand l'industrie musicale se cassait encore plus la gueule et j'ai décidé de la saisir, sans trop savoir où je mettais les pieds.
Autrement dit, j'ai décidé d'aller à gauche alors qu'une autre opportunité se présentait à droite. J'ai choisi le milieu plutôt que l'argent.
12 - Tu préférerais que sorte un nouveau Calvin et Hobbes mais tu n'as pas le droit de le lire ou que calvin et hobbes n'ait jamais été connu dans le monde à part de Toi, unique lecteur , avec l'interdiction de le faire découvrir ?
Oh c'est une question assez facile : je prends complètement la voie de l'égoïsme et je fais mon crâneur tout le reste de ma vie quitte à perdre tous mes amis virtuels et réels. Worth it.
Je ne suis pas trop dans le culte de la personnalité, mais si un jour je peux échanger ne serait-ce qu'un mot (genre Hello) avec Bill Watterson, je pense qu'il n'y aura plus jamais un jour gris dans ma vie. Et ils sont déjà très rares vu que j'ai la chance de discuter régulièrement avec des gens dont j'admire le travail.
13 - Est-ce que ça t'agace quand les français prononcent mal ton prénom ?
(ndlr : je m'appelle Kevin. Sans accent sur le e. C'est important car ça se prononce à l'américaine, en principe. Kavène, vous voyez)
De ma naissance à mes 15 ans, j'insistais pour qu'on prononce bien mon prénom. Sinon c'était pas mon prénom, tout connement. Et puis j'ai baissé les bras en changeant d'école et de connaissances. Je n'ai pas trouvé le courage et maintenant tout le monde m'appelle Kévin. Sauf mes parents et ceux qui me connaissent depuis plus de 25 ans. C'est un peu triste, cette perte d'identité.
14 - c'est quoi tes références ou tes influences en musique électronique ?
Suis tellement resté coincé dans les années 90...donc tout Warp de cette période là et une bonne partie de Ninja Tune. Comme tout le monde. Je fais la musique que j'aimerais entendre (car suis loin d'être un génie qui réinvente quoi que ce soit), et ça ressemble idéalement à un mélange entre Boards of Canada, Aphex Twin et Autechre.
Le mot clé étant 'idéalement'.
15 - Quand t'as démarré ton blog, tu aurais parié combien d'Upper Deck de Bill Russell ou de Dr. J. que tu finirais par lâcher l'anonymat, risquant ainsi un gros coup de coude dans les côtes par un éditeur rancunier lors d'une soirée au Mercure à Angoulême ?
(June sait parfaitement bien qu'Upper Deck ne sont arrivés qu'en 1991-92 et qu'il n'existe pas de carte de Russell ou Dr J chez eux. Il me teste)
Au début je faisais super gaffe à l'anonymat. Pas pour des questions de représailles, mais plus par jeu. Et j'ai distillé des indices de ci de là, parfois involontairement.
Beaucoup de représ l'ont découvert assez tôt et se faisaient un plaisir de le dire à d'autres libraires qui leur posaient la question (oui, parfaitement, les gens voulaient savoir). Les seuls problèmes professionnels que j'ai pu avoir ont été avec des commerciaux, d'ailleurs, qui ne comprenaient pas toujours mon sens de l'humour un poil trop caustique pour eux. Je suis rarement dans la polémique, de toute façon, et mes moqueries sont plus orientées vers moi-même que vers les autres.
Je ne suis qu'amour et bébés pingouins.