I'm not the world's most physical guy

Publié le par Le libraire se cache

Ca fait un moment que je croise virtuellement Lolita Séchan dans mon milieu respectif à moi, et j'ai toujours été intrigué par sa personnalité et son talent (et sa gentillesse, aussi. J'aime bien quand il y a de la gentillesse chez les gens que je croise, parfois). J'avais été surpris, à l'époque, par Les brumes de Sapa, surtout qu'il est sorti alors que les blogs bds se retrouvaient sur papier, avec le plus souvent des sujets autocentrés pas toujours inspirés. Là, le dessin et le propos étaient justes et finalement universels.

 

Toujours est-il qu'en cette fin d'année, tadah, j'ai un cadeau pour vous (oui oh, de rien) !

 

Merci Lolita !

 

Je le dis souvent, mais j'ai tendance à avoir un petit peu de mal avec les autobiographies car je ne vois pas toujours à qui elles s'adressent. Quand j'ai lu Les brumes de Sapa, je n'ai pas eu l'impression d'en lire une tellement le sujet est universel et maîtrisé. Ce sont les 15 ans de recul qui font ça, à ton avis ?

Merci, déjà. Je pense que c’est surtout parce que tout le long de l’écriture je n’ai cessé de me demander si ce que je racontais pouvait parler à quelqu’un d’autre que moi. J’avais très peur du nombrilisme - c’est l’écueil dans ce genre de démarche et encore plus dans ma position de « fille de ». Je voulais m’assurer de la dimension « universelle » de mon histoire. Mon but était de parler de Lo Thi Gom, cette enfant Hmong. C’est elle qui m’intéressait, bien plus que mon personnage, qui n’était qu’un miroir face à Gom, son écho. Je ne voulais surtout pas tomber dans le récit d’une pauvre petite fille riche qui rencontre le « bon petit sauvage »… Mon souci était de parler à toutes celles et ceux qui ont vécu une errance, un voyage qui les a transformés, une rencontre qui a marqué leur vie. Pas mal de gens m’écrivent pour me dire que cette histoire raisonne avec leur propre errance, leurs questionnements. Ça me touche beaucoup ça. 

J'ai toujours l'impression de t'avoir vue graviter dans le monde de la bd, notamment celui des blogs bd de "la grande époque". C'est un milieu qui te parle ? Tu en as suivi l'évolution, un peu ?

Je garde un super souvenir de cette époque où les blogs bd ont émergé. C’est vraiment grâce à ça que je m’y suis mise. Un peu par hasard au début, pour faire les storyboard d’une bd que je faisais avec mon meilleur pote, mais j’écrivais surtout des chroniques hypocondriaques. Et puis, au fil des années, dessiner s’est imposé comme mon métier et la chose que j’aime le plus faire au monde. J’ai gardé tous les potes des blogs de l’époque mais je n’en suis plus aucun. Pour voir du dessin, Instagram a remplacé les blogs maintenant. 

J'imagine que tu étais entourée de Bds dans ton enfance et adolescence. On en fait un rejet, dans ces cas là, pour mieux y revenir après, ou est-ce qu'au contraire on plonge dans chaque album, sans censure des parents ?

Aucun rejet, jamais. C’est vraiment le paysage de mon enfance. La musique prenait beaucoup de place, officiellement, mais au quotidien et sur la durée c’est autour du dessin, des albums, que je me suis construite. C’est ma Madeleine de Proust et l’art qui me touche le plus aujourd'hui. Je peux chialer devant une planche originale, juste parce que je sens le geste derrière le trait de plume ou pour une surface au Blanco qui montre ce que le dessinateur ou la dessinatrice a voulu corriger… A l’adolescence les bd ont été encore plus salvatrices. Je me suis émancipée de la culture familiale portée sur le Franco-Belge pour foncer sur les Mangas. Tous les week-end je me réfugiais chez Album pour lire Akira, Gunnm et Calvin & Hobbes. Le libraire qui me mettait alors des BD israéliennes ou Hongkongaises entre les mains est devenu, 25 ans plus tard, mon éditeur chez Actes Sud. Comme quoi, ce qui prend racine dans l’enfance est fait pour pousser. 

Tu connais très bien le monde de la musique, du cinéma et de l’édition. Ce sont quoi les différences majeures entre les 3 (s'il y en a) ?

Effectivement… Je ne sais pas si je suis très objective mais je dirais que le milieu le plus libre, riche, divers, Rock et bon enfant c’est celui de la bd. Les enjeux financiers étant moindre (forcément on gagne rien comparé au temps qu’on passe à dessiner…) j’ai l’impression qu’il y a une plus grande liberté de propos et de formes. Les dessinatrices et dessinateurs sont des gens passionnés de mille choses autres que le dessin (contrairement à la musique, où il faut le dire on est très focalisé sur la musique). Comme nous ne sommes pas sous les projecteurs et nous cachons derrière des images, nous nous sentons moins soumis aux médias « violents » comme la télé ou la presse People à la con et avons une liberté que je n’ai pas rencontrée dans d’autres milieux. Entre nous c’est très simple. Il y a une vraie bienveillance entre collègues je crois - même si je n’aime pas ce mot qu’on colle à tout vent, là il s’applique. Quand à l’extérieur,  il y a de la douceur dans le regard que le dessinateur pose sur le monde. Ça permet de traiter n’importe quel sujet en y allant à pas de velours, comme un chat. Je parle en connaissance de cause car j’ai tenté il y a quelques temps de transformer un projet BD en projet de film et la transformation du crayon en caméra a entièrement modifié le comportement des gens que j’observais, leurs propos, leur naturel. Du coup j’ai balancé la caméra et repris mes cahiers et crayons. La liberté prime sur l’audience. 


Les lecteurs potentiels qui feuillettent Les Brumes de Sapa le font car ils sont attirés par le dessin et l'ambiance qui semble s'en dégager. Pas du tout pour le nom sur la couverture. C'est un soulagement pour toi ? Il y a eu une pression de l’éditeur qui souhaitait mettre un bandeau ?

Ah ça c’est toi qui le dit ! Mais oui, c’est vrai, je crois. J’ai vu se faire la transformation, petit à petit. Et oui, ça me touche énormément. Ça a toujours été important pour moi de faire mes preuves de mon coté, sans m’associer au nom familial mais sans le renier non plus. C’est une chance dans la vie d’avoir été élevée par deux personnes créatives et généreuses mais c’est aussi une plus grande exigence que je me mets pour faire les choses. Il faut la mériter cette chance qui tombe sans raison à la naissance. Avoir réussi à faire du dessin mon métier et m'être toute seule fait ma petite place dans le monde de la BD, c’est ma plus grande joie aujourd’hui. Mon éditeur pour les Brumes de Sapa, Guy Delcourt, a d’ailleurs compris dès le début ce qui m’importait. Jamais il n’a suggéré le moindre bandeau sur l’album et heureusement ! La première chose qu’il m’a dite c’est « Je veux faire ton livre car je crois au projet et ton histoire me touche, pas pour ton nom ». C’était un bon argument. Faut dire que je l’avais aussi prévenu que je ne ferais aucune promo People et que s’il comptait vendre la bd grâce à ça, ce serait ballot. On était tout à fait sur la même longueur d’onde et je serai toujours reconnaissante à Guy de m’avoir « suivie » en premier et de m’avoir laissé carte blanche sur cet album si important pour moi. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis qu’il aurait mérité plus de travail de réécriture avec l’éditeur, ou de coupes, mais c’est mon premier et il me touche car il a posé la pierre pour la suite.


 

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V
Si vous en avez l’occasion, elle fait sa toute première expo à St Gratien (val d’Oise), au centre culturel du forum. C’est magnifique mais ça se termine bientôt.
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