Minority Report, la brigade en moins
Tout ça à cause d’un client qui a littéralement cassé sa tirelire.
La première phrase étant établie (et de quelle manière), revenons en arrière avant de foncer de l’avant.
Comme le disait si bien Sophie Favier, ‘aujourd’hui plus qu’hier’, c’était la rentrée. Pendant les vacances, je suis relativement tranquille,ils (les boulets) sont peu nombreux à venir traîner parmi moi, reprenant des forces devant leur console de jeux et/ou internet (l’ordinateur dans la chambre d’un adolescent c’est l’équivalent de la télé dans la chambre conjugale : une très mauvaise idée pour l’épanouissement physique).
Et aujourd’hui, outre le fait qu’ils ont débarqué en force pour acheter leur dose de mangas, ils ont surtout montré que de toute évidence ils n’ont pas profité des vacances d’hiver pour tondre la pelouse ou ramasser les feuilles des voisins (ou promener le chien de la voisine) : ils n’avaient pas un rond. Ils se sont passé le mot pour ne me payer qu’en petites (voire très petites) pièces. Evidemment, je les refuse jamais, je les imagine raclant les fonds de tiroirs (ou volant des pièces dans la boîte spéciale Bernadette) afin de collecter la somme nécessaire à l’assouvissement de leur vice bienheureux (pour moi), ce qui éveille en moi une certaine bienveillance compréhensive à leur égard. Et puis bon, comme ça j’ai des munitions pour me venger de ceux qui me paient un manga à 4.5 € avec un billet de 100€ sans même rougir (ce qui m’arrange, dans le fond, vu que ça me fait au final moins de billets à compter le soir, mais c’est une question de principes). Alors quand ce dernier m’annonce tout penaud qu’il est désolé, qu’il n’a que des pièces rouges, que c’est pas sa faute, que c’est parce qu’il n’a pas eu d’argent de poche ce mois-ci pour cause de résultats scolaires insuffisants (‘heu c’est un peu ta faute quand même du coup non ?’ ‘ah oui’), je n’ai pas le cœur à lui faire remarquer qu’il est bien gentil mais que j’ai pas que ça à faire moi que de compter 4€ en pièces rouges et que j’ai un café là bas que j’ai pas eu le temps de rapatrier au comptoir par sa faute et qui me tend les bras, la caféine suppliant d’intégrer mes canaux sanguins (suis pas persuadé de la description médicale du processus).
Bref, les pièces furent comptées, elles ont pris place dans la petite case ‘pièces rouges’ de ma caisse qui déborde à présent, je peux aller prendre mon café tiède (pas grave, je le bois tiède de toute façon, mais j’aime bien me faire plaindre parce que je fais trop bien mon boulot et que je suis trop gentil avec mes clients), sauf que mon rythme est totalement altéré, et je me retrouve avec mon café dans les mains (enfin la main, plutôt, je tiens pas mon gobelet avec les deux mains, ça ferait un peu bizarre, et je suis pas là pour avoir l’air bizarre, le café c’est comme la cigarette, ça sert à donner de la contenance aux faibles) au lieu de sur le comptoir, direction les mangas d’occasion, je dois remettre du Naruto là où tout le monde pourra les voir et les adopter.
Je me dis alors qu’il vaut mieux pas que je pose mon gobelet là au milieu des bacs d’occasion, que c’est un coup à le renverser (splotch), va plutôt le poser sur le comptoir, oh et puis non, je le pose là, c’est bon, je ferai attention, j’ai plus cinq ans (officiellement) et j’ai vraiment amélioré ma dextérité depuis que j’ai renversé un pot de peinture sur ma moquette hier après-midi.
Evidemment, cinq secondes après ces réflexions pleines de bon sens, je renversais mon café sur ces pauvres mangas qui ne demandaient pas tant d’attention de ma part. Splotch. Je me console comme je peux, en essuyant ces livres irrécupérables avec un Sopalin et en me disant que mes talents de devins sont assez exceptionnels. Dommage que je sois aussi crétin.