Je garde plus le sac à ma copine
Malgré ma peau parfaite, j’ai eu toute la journée un bouton fort disgracieux sur le visage. J’avais l’impression qu’on ne voyait que ça. C’est bien la peine d’avoir réussi à franchir la période ingrate de la puberté sans trop d’encombres. Surtout que ça ne devrait pas arriver. Pour la simple et bonne raison que, comme beaucoup de jeunes gens perdus de ma génération, j’ai eu recours au traitement Roaccutane. Je sais même pas si ça existe encore, ce machin.
En tout cas ce fut la révolution quand c’est apparu dans nos vies pleines de sébum : on pouvait enfin ranger pour de bon le biactol dans les armoires à pharmacie ainsi que ces espèces de patchs immondes dont le nom m’échappe et qui accrochaient les points noirs (alors que franchement, ça c’était le côté fun de l’adolescence, récurer ses points noirs, les extirper à la sueur de l’ongle). Les dermatos l’ont distribué à tout va, peu importait la sévérité de l’acné, faites vous plaisir les jeunes, c’est l’état qui régale, n’oubliez pas la prise de sang et les crèmes hydratantes et évitez de rester trop au soleil, vous risqueriez de peler (d’ailleurs c’est ce qui m’est arrivé, jusqu’à ce que je découvre l’autre fonction de la vaseline).
C’était assez amusant de voir partout les signes partagés par ceux qui suivaient le traitement : grosses plaques rouges, lèvres gercées, saignements de nez. On était pas aussi bien organisés que les motards, du coup on avait pas un signe de salutation, mais la solidarité était bien là, même si elle s’effectuait la tête baissée parce que bon, c’était pas beau à voir. Le meilleur moyen de savoir si quelqu’un avait suivi un traitement au Roaccutane, c’était tout simplement qu’il le niait : ‘heu non ça va pas la tête, j’ai pas suivi de traitement, c’est juste que je suis plus puceau et c’est parti d’un coup (enfin si j’ose dire)’.
Ah et au fait, se sont rendus compte les dermatologues, soudain : y’a des risques de stérilité.
Ah.
Oui, on va peut-être faire d’autres tests quand même et être un peu plus regardant sur ceux (et surtout celles) à qui on le prescrit, parce que bon, c’est pas tout ça mais dans 15 ans c’est la crise, s’agirait de faire attention au trou de la sécu, prenez du biactol plutôt et arrêtez de vous plaindre sous prétexte que vous êtes moche, croyez-moi, l’acné n’y est pour rien.
Et depuis quelque temps, je vois l’acné réapparaître dans ma boutique (et sur ma peau de bébé, mais je mets tout sur le compte du printemps, et puis d’abord vivement l’été, ça assèche tout ça, tant pis si ça revient direct à la rentrée, le tout est d’être beau et bronzé sur la plage). Peut-être la faute aux médecins traitants qui court-circuitent les spécialistes. Peut-être la faute à Internet qui permet même aux boutonneux de trouver des communautés qui les acceptent. ‘Fin bon, faudrait pas qu’ils soient trop intégrés non plus, j’ai des nouveautés mangas à vendre, moi.
La ville des prodiges (Mendoza)