De mal en Pis
C’était une journée bien étrange que celle d’aujourd’hui. Rien d’extraordinaire, pas de défilés de moutons angoras (ça j’aimerais bien, même si c’est quand même super con, un mouton. Presqu’aussi crétin qu’un poulet, et y’a rien de plus crétin qu’un poulet (sauf peut-être deux poulets, ça fait comme avec les supporters de foot)), pas de piscine olympique construite juste devant la librairie pour faire une démonstration de danse aquatique synchronisée (ça aurait été chouette aussi, et je pense que les nageuses sont moins crétines que les moutons. Enfin j’imagine, vu qu’elles sont sous l’eau et qu’on voit pas de lueur d’intelligence, du coup), non, une journée parsemée de petits éléments hors du temps.
D’ailleurs c’est pas plus mal, ça m’aura un peu diverti, en ce moment y’a personne de chez personne, et certes ça m’occupe de faire mes retours Makassar, et je dois reconnaître que ça me rend un peu heureux de virer du Taïfu et du Ange (c’est mesquin, j’en ai conscience, et je m’en excuse auprès des éditeurs concernés, mais on trouve ses petits moments de bonheur où on peut, par les temps qui courent), mais c’est pas ça qui va remplir mon tiroir-caisse qui en a bien besoin compte tenu des échéances de folie furieuse qui arrivent en fin de mois.
J’ai donc reçu des coups de fil complètement à côté de la plaque de gens qui doivent s’amuser à faire des numéros au hasard pris dans les pages jaunes en se disant que attends Maurice (c’est sa femme qui parle), on sait jamais, ils font peut-être relai La Redoute à cette adresse là, viens on va leur demander, ça coûte rien d’essayer, y’a la Suzanne qui m’a dit que maintenant on pouvait appeler autant qu’on voulait, que ça coûtait rien rapport à internet que les enfants ont installé. Et donc ils tombent sur moi.
- Non désolé madame, vous êtes dans une librairie de bandes dessinées
- Ah, et vous savez où il est, le point relai ?
- Vous avez pensé à demander à La Redoute ?
- Non mais vous savez comment c’est, ils sont moins serviables que les petits commerçants, alors on s’est dit que…
Certes.
Dans la foulée, autre coup de fil (et je n’invente rien), autre demande :
- Bonjour, vous auriez des autocollants repositionnables pour mettre derrière les photos pour mettre dans des albums pour pouvoir les enlever et les remettre et les repositionner dans un album ?
J’ai été gentleman, je l’ai laissée terminer sa phrase, je sentais qu’elle venait de loin et qu’elle devait sortir d’une traite sous peine de frustration éternelle
- Non désolé madame, vous êtes dans une librairie de bandes dessinées et je ne fais pas papeterie
- Ah, et vous pouvez m’en commander ?
Ma vie est déprimante.
Un client est arrivé peu après, ni bonjour et, coupons court à tout suspens de suite, ni au revoir, juste la tête baissée sous sa casquette sale direction les Bds de cul qu’il a feuilletées avidement et trop rapidement pour les avoir appréciées à leur juste valeur, c’est dommage. Ça à duré 30 secondes (un rapide), à peine le temps pour moi d’hausser un sourcil interrogateur.
Sa vie doit être déprimante et que moyennement lubrique.
Soudain est arrivé le rayon de soleil de pluie d’étoiles de la journée. Je ne connais pas son nom, ne le connaitrai jamais, mais elle avait l’assurance d’un tiercé de pingouins gagnants et la démarche d’un chien de prairie (c’est un compliment).
- Bonjour, nous organisons une journée thématique autour de la vache. Je peux vous laisser des flyers ?
Je suis resté quelque peu interloqué, j’ai vaguement tenté de réprimer un rire salvateur et lui ai demandé :
- Ca doit être chouette quand même de passer la journée à dire cette phrase, non ?
- Oh je sais pas trop, c’est la première fois que je la dis, je commence la tournée là
Ah, douceur virginale de l’être encore innocent. Je suis heureux d’y avoir assisté, à cet accouchement magique, c’est pas tous les jours qu’on vous demande de prendre part indirectement à la journée de la vache. Sur le dos du flyer il est stipulé qu’ils font des jeux à base de lait et qu’il faut traire la vache. Tout ceci à l’air très sérieux, et je pense effectivement que ça peut être une super sortie en famille que de trainer au milieu de tous ces regards bovins inexpressifs et pourtant tellement humains. Cela dit c’est vrai qu’on peut se demander ce qu’il cherchait à faire, au juste, le premier homme qui a découvert le lait de vache (je sais plus où j’ai lu cette blague, mais je sais qu’il y en a une de Calvin & Hobbes qui s’en rapproche)…
‘Le lait, c’est vachement bon !’. C’est écrit au dos du flyer. Ça m’a achevé. D’ailleurs c’est simple, j’en ai encore le sourire tout frais. Je pense que je vais le garder sur moi pour mes moments de cafard.