Distribution de crises de rires

Publié le par Le libraire en question

Alors oui, je sais, c’est pénible, on ne parle que de ça.

Jour après jour après jour après jour.

Et je vais en rajouter une couche.

Mais j’y peux rien, c’est juste que mes journées ressemblent à de longues étendues désertes lors desquelles le tiroir caisse fait plouf au lieu de ding !, et du coup je repense avec nostalgie à la journée de l’autre jour pendant laquelle j’ai bien rigolé.

Car oui, parfois, dans ce métier, on se marre bien.

Malgré LA CRISE.

(oui, la couche, c’est elle).

 

En fait, l’autre jour, le fameux, j’ai fait venir quelques auteurs dans ma maison de libraire. L’un d’entre eux voulait me rencontrer, ce qui est tout à son honneur, et comme c’était réciproque, nous avons foncé tête baissée, telles des loutres prêtes à en découdre, mais comme il nous fallait un public, nous avons fait du porte à porte pour trouver deux autres auteurs de calibre. Ce fut chose faite. Et bien faite. Car je sais pas si je l’ai déjà mentionné, mais on s’est bien marré.

Ils m’ont foutu un beau bordel mais c’est pas un problème, j’ai des apprentis pour ramasser les bouteilles de bière japonaise vides (oui, parfois y’a des trucs bizarres qui trainent dans le frigo). Mes clients ont assisté, mi-médusés mi-conquis, à une démonstration d’osmose de groupe. Ils étaient venus se plaindre de la crise, ils ont préféré se balancer des vannes à la gueule à longueur de journée, ce qui est un remède comme un autre, auquel je crois dur comme fer.

Il faut dire qu’ils sont gâtés, mes clients, vu que pile un mois avant ils ont eu droit à un autre trio de feu de dieu d’horizons différents mais réunis dans l’amour de l’art et de la curieuse volonté de venir se perdre de par chez moi alors même qu’aucune course de chevaux n’était prévue ce jour là. Qu’ils en soient remerciés ici même publiquement et qu’ils sachent que je les aime comme un cheval mort, si j’ai tout bien compris à la chanson de Johnny.

 

Mais revenons à nos moutons.

Enfin à notre mouton noir.

LA CRISE.

La garce.

 

La crise nous a surtout donné l’occasion, lors d’une soirée à son image, c'est-à-dire indéfinissable et foutraque, de faire un point précis et détaillé sur le pourquoi du comment de celle-ci, de si y’a vraiment surproduction, d’à qui la faute, et si les auteurs ils seraient pas bien gentils mais que bon hein, arrêtez de chouiner, nous aussi on paie des impôts et vous nous entendez pas râler dans la rue sur facebook toutes les trois minutes pour un oui pour un non sous prétexte qu’on a choisi un métier à la con (non, y’a les blogs pour ça).

Ça a duré 2h30 et quelques pauses pipi et clope et ravitaillement et gesticulations diverses et tentatives de prise de parole tellement un des trois l’accaparait avec son charisme à la Marchais (oui bon, ça c’est pas très sympa, mais ne sous-estimons pas les private jokes disséminées dans ce billet). J’espérais une ambiance à la Apostrophe façon Bukowski vs Cavanna, sauf qu’ils étaient tous les trois intelligents, réfléchis et surtout à peu près du même avis.

Et sûrement un peu trop sobres.

Alors oui, les libraires étaient armés d’une armée de chiffres et de diagrammes et de bâtons et de courbes. De quoi donner le tournis à l’assistance qui n’en demandait pas tant (faut dire que ça peut être chiant, les chiffres, c’est vrai, mais que voulez-vous, on se refait pas).

Finalement, c’était mieux avant ? Moins d’auteurs mais plus d’argent par auteur ? Moins de choix mais plus de temps pour les découvrir ? Moins de Grandes surfaces spécialisées ? Moins d’internet ? Plus de magazines et de prépublications ? De grooooooos tirages pour de groooooooosses séries avec tout  plein le fonds qui tourne en plus toute l’année ? De quoi se reposer tranquillement sur ses lauriers en attendant que les arbres poussent plus haut que le plus haut du ciel de l’infini.

Sauf que bah non.

L’accès à la culture n’a jamais été aussi simple et répandu. Le réseau de libraires en France est bel et bien là, beau et dense, prêt à en découdre. Il y a du choix, beaucoup de choix, probablement bien trop de choix, mais au moins il existe. Les éditeurs font plutôt bien leur boulot d’éditeur, ce ne sont pas les grands méchants, même si bon, oui, certes, pas tous, et parfois hein, bon, *tousse* (y’en a un qu’est en redressement judiciaire, là tout de suite, d’ailleurs, malgré la présence d’un certain Bourgeon dans ses tuyaux). Eux aussi ont vu leur marge bénéficiaire divisée par deux alors même que celle des distributeurs était multipliée par deux.

Saleté de distribution.

Qui vient jusque dans nos librairies égorger nos cartons pour qu’on les retourne de suite. Qui facturent à l’aller, au retour et au pendant.

Un jour, faudra bien se pencher sur sa question, à la distribution, et lui demander des comptes.

 

En attendant, hasta la victoria ou pas, nous sommes allés jusqu’au bout de la nuit. En riant. Sans même faire la chenille. Mais avec la certitude qu’il s’était passé quelque chose, ce jour là.

En espérant que ce n’était pas une CRISE.

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