Si je tourne en rond c'est que j'ai du plomb dans l'aile

Publié le par Le libraire se cache

Ma librairie est située dans un petit village (de 25 000 habitants, certes, mais la relativité, tout ça tout ça) où elle résiste depuis 15 ans à l'envahisseur. Côté concurrence, il n'y a pas grand-chose sinon un Carrefour, un Leclerc (sans Espace culturel et sans grand-chose de culturel d'ailleurs) et une petite librairie de quartier qui vend principalement du Nothomb et du Titeuf. Bref, je suis peinard loin des tracas et de ceux qui voudraient croquer mon camembert, si j'ose m'exprimer ainsi.

Sauf qu'il y a six mois, la donne a été changée, avec l'intrusion à 2 km de moi d'une grande enseigne bleue de type Gargatura (ou Culturmel, mais ça sonnait moins bien. Et oui, j'ai bien conscience que j'ai fait un mashup entre les Schtroumpfs et Asterix). La concurrence fait partie du commerce, c'est la règle du jeu, mais c'est toujours un peu agaçant quand ça nous tombe sur le coin du nez. D'autant plus que dans notre village, il y a pas une, mais deux librairies labellisées LIR. On pourrait se dire que le grand Schtroumpf de la ville en serait fier et tenterait de préserver ça, mais il doit y avoir des enjeux de salsepareille qui nous dépassent.

J'ai beau connaitre les statistiques par cœur et être confiant en mes tendances et en mon positionnement (qui vise un public de lecteurs, donc, et non un public de passage, qui de toute façon ne viendrait pas dans la galerie où je me situe, avec une forte implantation dans le tissu culturel local, une défense des éditeurs et des auteurs et un stock maitrisé à base de taux de rotation idéal tout en m'autorisant un stock très lent si je le veux), je sais aussi que l'équilibre d'une librairie est fragile et qu'il suffit de quelques points de pourcentage dans un sens ou dans l'autre pour que tout bascule en bien ou en mal. Mes clients réguliers ne déserteront pas la librairie (ils viennent car ils aiment fréquenter la librairie, et non parce que je suis en situation de monopole. Mes beaux yeux sont l'atour phare de la librairie, ne l'oublions jamais), ça j'en suis certain. Je rappelle que 18% des livres sont achetés en librairie. 24.5% en grandes surfaces culturelles (Fnac et Cultura, donc), 20% en grandes surfaces alimentaires et 19% sur internet. Il y a 10 ans, c'était toujours 18% en librairie mais seulement 8% sur internet. Internet est super pas mon concurrent. Internet prend des parts de marché aux grandes surface et surtout à la VPC (France loisirs notamment). Amazon ne m'empêche pas du tout de dormir, sauf quand ma conscience sociale prend le dessus sur mon sommeil.

Sur la clientèle de passage, c'est un autre problème. Elle est volatile par définition et ne s'intéresse que de très très loin à mes yeux. Elle n'en a qu'après mes Bds sur les Marseillais ou pour les 50 ans de papa qui fait la collection des nazis. Elle représente la moitié de ma clientèle, mais seulement 10% de mon chiffre d'affaires. Sauf que j'en ai besoin, moi, de ces 10%. De chaque point de pourcentage, même. Et je sais bien que je dois m'attendre à en voir filer entre mes doigts soyeux., car encore une fois, c'est la règle du commerce.

 

J'ai été un peu rassuré quand même en allant y faire un tour à l'ouverture. Le rayon Bd est minimaliste et la sélection correspond bien à ce qu'on s'attend à trouver dans une grande surface. La stratégie est toujours la même : s'installer en périphérie là où les loyers sont moins cher, prendre une surface minimum de 1 000€, garder une masse salariale très faible (en librairie, ça tourne autour de 15/18%. Chez eux, à mon avis, on est en dessous des 10%) et se focaliser sur les loisirs créatifs. Ça n'enlève bien entendu rien à la qualité du personnel (généralement jeune et peu expérimenté cependant), qui de toute façon peut rarement gérer son stock comme il le voudrait, et qui se retrouve limité en terme de livres qu'il peut ramener chaque semaine pour le lire (ils ont droit à 5 "objets" : livres, dvds etc. Rien que pour pouvoir suivre la production Bd, il faudrait pouvoir ramener 4 fois ça).

 

Malgré l'effet nouveauté et une grosse campagne promo dans la ville (et sur les réseaux sociaux), je n'ai pas vu de baisse de fréquentation de mon côté. La plupart de mes clients s'inquiétaient même à ma place et je me dis que tiens, si ça se trouve, ça va renforcer nos liens au coin du feu de la culture et du loisir. Noël a été une autre paire de manches. C'est là justement où est concentrée la clientèle de passage, qui peut facilement être démotivée à l'idée de payer et se garer en centre ville et puis ma foi, pour tonton David (il devient quoi lui d'ailleurs ?), un dvd ça ira aussi bien qu'une bd sur le vin. Rien de catastrophique, mais une baisse de 10% de fréquentation tout de même. L'avantage étant que ma moyenne par client, elle, a augmenté, les clients de passage ayant un panier moyen plus bas de manière générale.

 

Le mois de février a été tout pourri, mais il me semble que c'est le cas pour un peu tout le monde. L'année dernière, on a tout mis sur le compte des élections. Cette année, j'espère ne pas devoir tout mettre sur le dos d'un grand machin bleu, ce qui serait le monde à l'envers au pays des Schtroumpfs.

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S
Je croise les doigts.
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