Passport photos and a life so bad

Publié le par Le libraire se cache

J'ai connu Chloé aux tout débuts de mon blog, il y a 10 ans, et j'ai tout de suite été séduit par son intelligence et son humour et sa sensibilité qui transparaissent dans chacune de ses photos. Même si son métier c'est photographe, elle a aussi sorti une Bd, avec Carole Maurel, que je vous recommande d'ailleurs chaudement (l'Apocalypse selon Magda, chez Delcourt) (et par ailleurs il suffit de se balader sur son blog pour se rendre compte de ses talents d'écriture). Toujours est-il qu'elle a réussi à trouver un moment pour souffler, après une période estivale toujours archi chargée pour elle et répondre à mes questions décousues. Merci à elle !

 

 

Comment on devient, au juste, portraitiste officielle de bloggueurs futurs plus bloggueurs ? C'était officieux, à la base ?


Tout est évidemment parti du légendaire Festiblog (futur We Do BD). La première édition avait eu lieu quand j'étais encore au lycée dans mes montagnes natales et je brûlais envie d'y aller, sauf que c'était pas possible. Arrivée à Paris en septembre 2006, j'y ai évidemment couru avec joie, et j'étais trop contente de voir plein de gens dont j'admirais le boulot qui offraient des dessins à leurs lecteurs, comme ça, juste parce que c'était cool. Ça faisait déjà un petit moment que j'avais commencé à faire de la photo, et à découvrir que j'aimais surtout prendre en photo les gens. Et que parfois, ça leur faisait même plaisir. Alors je me suis dit que j'aimerais bien rendre un petit quelque chose à ces dessinateurs qui étaient là en toute générosité. Du coup, j'ai demandé à Yannick Lejeune, l'organisateur, si on pouvait se bricoler un truc. Et pof, en septembre 2007, j'étais là, avec à l'époque un petit appareil compact, et j'ai commencé à shooter tous les auteurs. C'est devenu un rituel, et progressivement, j'ai eu des demandes de portraits d'auteurs publiés, soit parce qu'ils me connaissaient du festiblog, soit parce qu'ils avaient vu mon travail par ce biais et que ça leur plaisait. Aujourd'hui encore, j'ai des clients qui me viennent de là. Et Yannick a même été la première personne à me faire confiance sur un (gros) contrat pro en photo. En bref, c'est cette démarche sans calcul de "oh ils sont trop super et ils dessinent trop bien, alors moi je veux leur faire cadeau de jolis portraits" qui a lancé ma carrière, dans un milieu que j'adore, alors que j'avais même pas vraiment effleuré le fait que c'était possible pour moi de vivre de la photo. Aujourd'hui, ça fait 10 ans que c'est mon métier, et franchement je suis hyper contente et reconnaissante

envers tous ces gens chouettes.

C'est quoi le plus compliqué : travailler avec une dessinatrice qui doit mettre en image ton scénario et faire tout comme dans ta tête, ou faire poser une dessinatrice pour qu'elle se retrouve tout comme c'est dans ta tête ?


C'est pas du jeu, ta question, vu que la première partie fait référence à Carole Maurel qui est la personne la plus adorable / talentueuse / émerveillante (ouais j'invente des mots, c'est une licence poétique) / moins compliquée du monde, alors booooon. Je vais faire semblant de répondre quand même sérieusement. Travailler avec Carole sur L'Apocalypse selon Magda, c'était complètement fou et à aucun moment compliqué. Evidemment j'avais une vision super claire dans ma tête, j'ai une imagination très visuelle (et un bon gros bagage de déformation professionnelle), et j'ai essayé de détailler au maximum dans le scénario... Mais à chaque fois que Carole s'en éloignait, c'était pour proposer du beaucoup mieux. Y a eu des moments où ça collait, entre ma vision et la sienne (même si c'était TOUJOURS mieux dans son dessin que dans ma tête), et des moments où elle s'en écartait un petit peu pour mon plus grand bonheur. Pile je gagne, face je perds pas. Et pour ce qui est de faire poser des gens pour qu'ils ressemblent à ce que j'ai dans ma tête, oui, c'est parfois plus compliqué ! Non, je citerai pas de nom. Ou alors un tout petit peu.. Ou al... aaaaargh...
En gros, ce qui est compliqué c'est que je suis souvent estomaquée de la capacité des gens à se métamorphoser totalement devant un appareil, parce qu'ils en ont peur. Je comprends l'appréhension, mais ça donne souvent lieu à des prophéties autoréalisatrices : "je suis sûr•e d'être moche sur cette photo -> je me rétracte tel un mollusque devant l'objectif -> je suis moche sur la photo". Une grosse partie du boulot, c'est de détendre les gens, de les mettre en confiance pour qu'ils finissent par se ressembler. Pas ressembler à ce que j'ai en tête, en fait, non, juste ressembler à ce que j'ai sous les yeux quand j'ai pas encore sorti mon engin. (Merci d'utiliser cette phrase hors-contexte).

 

Tout comme la bande dessinée, vu de l'extérieur tout du moins, le métier de photographe semble fortement dominé par les mâles (mais je me trompe peut-être). Il faut batailler plus qu'ailleurs, tu penses ?


Tu ne te trompes pas, non ! J'avais écrit un article de blog sur le sujet y a longtemps. Pour résumer le truc, c'est épuisant parce qu'il y a encore une dialectique débile de "l'homme a du gros matériel très lourd et s'y retrouve très bien pour tout calculer avec des chiffres compliqués" et "la femme est à poil et prends des poses plus ou moins langoureuses pour le bon plaisir du photographe et des futurs spectateurs de la photo". Et ces deux représentations-là génèrent tout un tas d'idées reçues assez merdiques, et d'autant plus gênantes qu'elles ne sont pas forcément conscientes. Donc oui, c'est un métier à domination masculine (pas forcément en termes de nombre de "pratiquants" d'ailleurs, mais j'ai pas les chiffres)... Mais comme dans la plupart des milieux en fait. C'est ça qui est épuisant : on est nombreuses à devoir faire quatre fois plus nos preuves, ou du moins à être précédées partout où on va d'un a priori d'incompétence. Parfois ça m'atteint ou ça me force à adopter un comportement super ostentatoire/démonstratif de confiance en moi et de maîtrise de la situation. Parfois aussi je ricane dans cette posture dans laquelle on m'a collée d'autorité, et je me dis que mes images parleront pour moi.

 

 

Est-ce que facebook et instagram c'est un peu le Ulule des photographes ? (je te laisse reflechir là dessus)


J'ai pas compris la question ! Mais merci de me laisser réfléchir là-dessus, c'est fort aimable.
[Je vais broder une réponse sous tes yeux ébahis : je crois pas que ce soit très rentable financièrement parlant (contrairement à Ulule qui est là directement pour filer des sous), mais c'est indispensable d'avoir une présence sur ces réseaux-là. Dès qu'on arrête d'y poster, on disparaît dans l'esprit des gens / de clients potentiels. C'est très chiant, on va pas se le cacher. Ça fait quelques mois que je m'astreins à poster beaucoup plus sur mes réseaux, à montrer plus de mes séances photo. Je prends 2h au début de chaque mois pour programmer mes posts, soigner les légendes, mettre des hashtags (beurk). Et la différence s'est fait sentir très vite, c'était impressionnant. Même si j'ai un site à peu près à jour, avec des contenus très variés, personne ne clique : il faut que mes images fassent des incursions régulières dans les timelines, sinon elles n'existent pas.]


Après éclaircissement dans l'oreillette (ce n'est pas sale) : je ne sais pas si je ferais la comparaison, parce que la frontière amateurs/pros est très vague, et ne se mesure ni en talent, ni en nombre d'abonnés. Ce qui se joue plutôt à mon avis, c'est la question de l'obligation de résultat (même si le sujet ne nous inspire pas plus que ça, même si les conditions de prise de vue ne sont pas bonnes, même si on n'est pas d'humeur...), et de mise à disposition de son "art" au service d'un tiers... et de son cahier des charges. Merde, je sais toujours pas si j'ai répondu à la question.

 

On entend souvent les gens dire, devant une bd soi disant moche, que ça ils pourraient le dessiner, que même leur neveu de 6 ans surexcité ferait mieux les yeux bandés. Ca s'applique aussi pour la photo, vu que tout le monde s'improvise photographe grace aux smartphones et aux filtres. Il faut quoi, à ton avis, pour réussir à se démarquer et apporter une patte visible par tous ?


Tu vas être obligé de citer des noms de dessinateurs potentiellement en rivalité avec des neveux de 6 ans, fais gaffe. Effectivement ça s'applique aussi à la photo, et j'ai souvent des crétins à gros objectifs qui viennent m'expliquer qu'ils me font de la concurrence et que attention ma petite demoiselle hahaha. Rarement des neveux de 6 ans, ceci dit, faudra que j'étudie la question. Pour apporter une patte visible par tous, je ne sais pas ce qu'il faut faire, je ne sais pas si j'y arrive... Je ne crois pas que ce soit une question de processus conscient et volontaire, sauf à faire des images selon un procédé très singulier ou je ne sais quoi. Je ne sais pas si ça suffit à se démarquer, mais je n'ai pas de meilleure réponse que de faire les choses en toute sincérité et enthousiasme réel. Dessiner sa propre route à partir d'envies, d'élans, d'éthique personnelle aussi... Bref, essayer de rester aligné•e avec ce qu'on ressent, ce qu'on rejette, ce qu'on aime, ce qui nous émeut, ce qui nous choque... Et espérer que de ce petit truc très personnel émerge un quelque chose qui puisse toucher un peu plus universellement.

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