Veux-tu croiser le fer avec des moines calus ?

Publié le par Le libraire se cache

Tout comme le commercial doit porter une cravate et le dentiste avoir des dents blanches, le libraire se doit d'être passionné.

C'est comme ça.

On ne peut pas faire ce métier juste parce qu'on aime bien les livres, qu'on est suffisamment solitaire pour pouvoir s'isoler une ou deux heures par jour pour lire et que c'est toujours mieux que d'être banquier. Non. On est forcément passionné.

 

Je l'entends très souvent de la bouche de mes clients, qui sont un peu fascinés par le métier (car ils n'ont pas la moindre idée de ce que ça représente), et qui s'imagine que c'est un peu comme la salle de sport : on idéalise, on se lance là dedans mais on se rend vite compte que c'était mieux sur papier et que tinder c'est bien aussi pour faire des rencontres et bien moins crevant.

 

'On sent que vous êtes passionnés'. Bon. Je crois que ça veut dire que je parle trop, surtout. Ou que je défends les livres avec conviction. Voilà. Partons de ce principe, plutôt. Mais libraire, c'est un métier de manutention et de vente. Et de vente de trucs qui sont pas terribles, qui plus est, d'un point de vue de l'idéal de la diversité culturelle. 'On sent que vous êtes passionnés par la manutention' est une phrase qu'on entend déjà moins souvent. 'On sent que ce matin, vous n'aspiriez qu'à vendre le dernier tome de Buck Danny'.

 

Moi j'aime bien la bd. Si si. J'en lis probablement autour de 1 200 chaque année, donc j'ai intérêt à ne pas y être allergique. Et à part certains morceaux de Bowie, de Miles Davis ou d'Autechre, rien ne me permet de m'évader et m'oublier autant qu'un roman (graphique ou autre, allez). Mais je ne suis pas passionné. Il y a des libraires autour de moi qui sont collectionneurs et qui connaissent tout sur tout sur le bout de leurs doigts de fées. Je me renseigne, je lis des ouvrages de références, j'ai plein de listes partout sur tout et rien (je vous ai déjà avoué mon amour des listes?), je suis capable d'avoir des conversations assez sérieuses sur un peu tous les aspects du 9éme Art, mais ce n 'est jamais que de la culture générale. Y'en a des qui sont vraiment archi balaises et impressionnants. Moi bof. Ça ne m'empêche pas d'être un excellent libraire (il n'y a pas de place pour la fausse modestie entre-nous), mais tel Desproges et son artiste dégagé, moi je suis un libraire dépassionné.

 

Ce qui ne m'empêche pas d'être enthousiaste. On peut être dépassionné mais pas blasé pour autant. Je découvre toujours les nouveautés avec autant de plaisir et j'adore faire jouer l'entonnoir dans ma tête pour trouver le conseil que je jugerai parfait et évidemment que j'aime mon métier d'amour. Mais je n'ai pas l'obsession obsessionnelle de la bande dessinée.

 

Ce qui nous mène au second point : 'ce métier c'est vraiment un sacerdoce'.

Je vous en livre la définition : Fonction qui présente un caractère quasi religieux en raison du dévouement qu'elle exige.

 

Je me souviens d'un échange que j'avais eu avec une collègue il y a quelques années, après que j'ai écrit dans ces pages bloguesques qu'on ne pouvait pas être libraire pour de vrai de bon sans parcourir/lire au moins 5 romans par semaine, l'idéal étant 9. Elle m'avait dit que non mais n'importe quoi, toi, je vais pas exiger ça de mes apprentis, c'est pas un sacerdoce (ça m'a marqué, visiblement). Elle a ptêt raison, mais je campe sur mes positions. L'exploration de l'offre est absolument primordial si on veut se démarquer un peu. Mais elle n'est pas nécessaire pour être vendeur de livres. A chacun de placer son curseur passionnel là où il l'entend.

 

Bref, tout ça pour dire que c'est un métier où il faut être commerçant et patient et manutentionnaire et patient et lecteur et patient et comme dans tout métier, y trouver un équilibre personnel sinon on tient pas bien longtemps (physiquement et financièrement, d'ailleurs).

 

Moi ça fait bientôt douze ans que j'ai trouvé ma voie, mais j'aurais pu faire 20 000 autres métiers. C'est ça que j'entends par dépassionné. Parfois les clients m'emmerdent, parfois j'ai pas envie de répondre à leurs demandes sur le nombre d'ex-libris inclus dans tel tirage, parfois j'aimerais bien pouvoir juste être dans un bureau à jouer au démineur au lieu d'être coincé derrière un comptoir.

 

Mais j'ai bien l'intention de profiter au maximum de mon abonnement à la salle de sport du libraire. Allez, je commence demain.

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