Je case du Souchon, finalement
Tous les libraires vous le diront : nous exerçons un métier formidable, planqués au milieu de piles de livres, de la culture de partout, des échanges passionnants avec les clients, le sourire qui se dérobe sur le visage d’un enfant heureux de pouvoir se payer son manga, des rencontres trop chouettes avec les auteurs, des mises en place d’expositions, travailler les nouveautés en avant-première etc.
Tous les libraires vous le diront : c’est bien gentil tout ça, mais la réalité du quotidien c’est aussi qu’on arrête pas de se faire mal. Et je parle pas de se faire mal dans un contexte sado-masochiste, mais bien des petits bobos constants, liés très souvent à l’ouverture des cartons (le cutter est le meilleur ami du libraire, certes, mais parfois il fait du zèle). Certains distributeurs nous refourguent des cartons qui sont censés pouvoir être ouverts sans outil tranchant, sauf qu’on s’en sert pour les retours, du coup on évite de les déchirer avidement (et puis y’a ce fichu film plastique à l’intérieur, pratique pour tenir les livres en place et pour ne pas (trop) les abîmer, mais impossible à virer sans lame tranchante).
Ouvertures mises à part, voici une petite liste de choses charmantes que je me suis infligées dans un lieu qui semble pourtant inoffensif, mais c’est compter sans l’ingéniosité criminelle des objets inanimés (et mon absence d’ingéniosité à moi) :
_ Coup de cutter sur le pouce
_Coup de cutter sur à peu près tous les autres doigts (suis pas très doué). Mais mieux vaut un doigt coupé qu’un livre abîmé, telle est la devise du libraire abîmé dans sa tête
_ Coupé sous l’ongle à cause d’un bout de carton qui dépassait à l’intérieur du carton (ça fait très mal, je le déconseille vivement)
_ Pris un carton de 20kg sur le pied gauche
_et sur le pied droit
_ Innombrables coupures liées au papier (essayez chez vous, vous verrez que c’est pas si facile que ça à faire, faut vraiment le vouloir)
_ Torticolis en me retournant brusquement pour prendre un manga
_ J’ai réussi à me froisser un muscle au niveau des côtes je ne sais trop comment, mais en tout cas c’était dans le cadre du travail, je le jure
_ Foulé la cheville en courant aller chercher une réservation (c’était pas vraiment mon moment de gloire)
_ J’ai évidemment le dos en vrac (et pourtant, à la médecine du travail, ils m’ont dit que je faisais super bien le geste du mec qui plie bien les genoux pour soulever les cartons)
_ Je ne suis jamais assis (de toute façon, y’a pas une chaise, pas un tabouret dans la boutique (enfin pas dans la surface de vente), même pas un fauteuil ni un canapé (mon salon de thé ressemble pas à grand-chose, je vous l’accorde), et du coup j’ai aussi les reins en compote à la fin de la journée
Doit y en avoir d’autres, mais j’ai dû choisir de les effacer de ma mémoire collective.
À partir de demain, c’est décidé, je demande aux clients présents d’ouvrir les cartons à ma place. C’est une question de survie de l’espèce. Ce serait dommage que je me retrouve menacé.