Le fantasme du miroir sur une île déserte

Publié le par Le libraire en question

Hier, je lisais un article du Parisien. Oui je sais, moi-même je ne pensais pas débuter un jour un billet avec cette phrase, mais ce sont des choses qui arrivent. Je l’ai lu car il s’agissait d’un papier sur des gens chouettes comme tout et qui font un métier formidable : le mien. Et plus spécifiquement des libraires de la librairie Charybde, qu’il faut soutenir si vous êtes du côté de Paris, car ils le valent bien et se démènent comme de beaux diables.

 

Toujours est-il qu’apparait dans cet article la phrase suivante : Ne vendre que des ouvrages qui leur plaisent. Nombre de libraires l'ont fantasmé […]

 

Du coup, je m’interroge, me questionne, joue les mecs intelligents plutôt que de sauter en m’agaçant et me pose la question suivante : ah ?

 

Evidemment, l’idée est séduisante. Passer sa journée à faire passer des envies de lectures en fonction de ses propres goûts à soi, se retrouver dans les yeux de ses semblables, ne plus se sentir seul, savoir qu’il y a, quelque part, pas loin, d’autres lecteurs pas si isolés qui aiment eux aussi mettre du Nutella dans leur choucroute, c’est toujours une source d’enrichissement et d’épanouissement. Mais c’est quoi, au juste, qui détermine mes goûts, et pourquoi diable faudrait-il que la personne qui franchisse ma porte s’y retrouve ? Dans un monde idéal, j’imagine qu’il y aurait autant de libraires que de lecteurs, en admettant qu’on l’on croie aux Doppelgänger. Ce serait beau. Pas très rentable, mais beau néanmoins.

 

Mon problème, fondamentalement, c’est que je ne sais pas où placer le curseur. C’est quoi, des livres que j’aime ? Si je ne devais vendre que ce que j’aime, que ce dont je voudrais dans ma bibliothèque, je vendrais 4 nouveautés par an en bandes dessinées (l’avantage de la bd, c’est que je peux à peu près lire toute la production annuelle, ou tout du moins tous les tomes 1. Comme ça, je rate pas un seul truc que je pourrais potentiellement aimer. C’est pratique). Ça ferait de sacrées piles de 2 500, négociés sur un an, vu qu’il faudrait que j’en vende 10 000 pour être rentable tout seul dans mon coin. Si j’élargis un peu à celles que j’ai trouvées très chouettes, ça en fait une trentaine. Si j’augmente encore le spectre pour inclure ce que je trouve de bonne facture, ça m’en fait 300 parmi lesquelles piocher. Sauf que je les trouve bonnes uniquement à titre professionnel, pas à titre personnel. Personnellement, j’en ai pas grand-chose à cirer, je le crains. Professionnellement en revanche, ce sont ces 300 titres qui m’aident à faire mon boulot et à accompagner et conseiller des gens qui, pour une raison qui m’échappe totalement, n’ont pas été forgés à mon image. Mais curieusement, j’ai l’impression que les clients qui rentrent dans une librairie ont envie qu’on leur parle d’eux. Pas de nous. Le but du jeu c’est qu’ils soient satisfaits de l’offre et des conseils, pas qu’ils rentrent chez eux en se disant que bon, voyons ce qu’il a aimé, l’autre gus, dernièrement, et y’a quoi au fait à la télé ?

 

Ma librairie idéale, ce seraient 50m² dédiés uniquement à Calvin & Hobbes. Voilà une idée innovatrice. Là  y’aurait du partage. De l’égo. Du pat on the head.

 

Tout ceci me fait penser que la semaine dernière, j’ai conseillé à deux de mes bons clients qui m’écoutent aveuglément une bande dessinée pas facile facile, dont je sais qu’elle ne se conseille pas comme ça au tout venant qui ne soit pas moi devant un miroir : Megg, Mogg and Owl, de Simon Hanselmann, chez Misma. Mais j’étais tout enthousiaste, ça faisait longtemps que je n’avais pas rigolé autant, j’ai retiré ma cape de libraire et enfilé mes pantoufles et la leur ai vendue.

Le premier est revenu le lendemain en me disant que lui aussi, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas autant ri devant une bd (‘tu vois, je te l’avais dit !’).

Le second est revenu quelques jours plus tard en me disant que ça faisait longtemps qu’il n’avait pas lu une bd de merde pareille, qu’il a même contacté l’éditeur pour en discuter avec lui (cordialement hein, mon client n’est pas un sale con, c’est même tout le contraire de ça) et que bah dis donc, si c’est ça une de tes bds de l’année, c’est pas gagné pour l’année en question ('heu tu vois je...heu..oui bon ramène-la moi hein').

 

Je vais peut-être éviter d’en commander 2 500 tout de suite…

 

 

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C
<br /> Et là se pose la question existentielle ? Dans quel camp serai-je ?<br />
Répondre
J
<br /> Bon, je n'ai lu que quelques extraits de MeggMoggOwl ou à peu près et ça ne m'a ni fait rire ni plu, que ce soit par le dessin, le ton, les personnages ou les situations. Dis-moi, franchement,<br /> qu'est-ce qui différencie cette bd de "George Clooney, Une histoire vrai" ?<br />
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L
<br /> <br /> oh ben c'est très simple : ce qui les différencie c'est que je trouve George Clooney très pas drôle et totalement artificiel là où Megg Owl est jouissif dans sa crétinerie pothead <br /> <br /> <br /> <br />