Réflexions : suite

Publié le par Le libraire en question

Je poursuis ici mes réflexions de l’autre jour, faites pas attention.

 

Ce qui m’effraie le plus, quand j’observe ce qui se passe autour de moi dans ce métier, c’est à quel point tout est focalisé autour de la nouveauté. Oui je sais, j’enfonce de la porte déjà bien ouverte, mais c’est quand même affolant. Ce qui amène tout le monde à dire qu’il y a une surproduction, que ça peut plus durer comme ça (enfin sauf les médias grand public qui ont pas compris grand-chose et qui se contentent de répéter bêtement que tout va bien dans la bande dessinée car regardez, le chiffre d’affaires est en hausse et que c’est pas le cas pour tous les autres pans de l’édition, ça veut bien dire ce que ça veut dire haha la Bd c’est trop bien), qu’on peut pas pousser plus nos murs que ça, 2000 Bds entre septembre et décembre, c’est n’importe quoi.

Certes.

Mais je vois pas bien ce qui nous oblige nous autres libraires à tout exposer de la même manière. Tout avoir, ok, je suis spécialisé et là pour ça, mais tout mettre en avant est une hérésie contre-productive. Il faudrait trois mois pour qu’une Bd moyenne trouve son semblant de public, et son semblant de public chez moi ne pèse pas bien lourd. Alors autant laisser la place à un livre que j’ai vraiment envie de défendre, même si j’ai l’impression de l’avoir déjà bien défendu ces deux derniers mois. Car moi, mes clients se renouvellent tous les trois mois. Il reste donc largement un potentiel à combler. Il va bien falloir apprendre à faire des impasses franches (en fonction de son lectorat ou de celui qu’on cherche à développer, je n’apporte pas de jugement de valeur) et à mettre en avant bien plus longtemps que d’habitude les titres qui en valent la peine.

 

Je comprends bien qu’il semble logique de se dire que y’a des lecteurs là dehors qui ne demandent qu’à sauter sur de la bande dessinée (ou des romans) mais qui en sont empêchés par des prix trop élevés. Les gens vont bien de plus en plus au cinéma, jouent de plus en plus aux jeux videos, tapotent de plus en plus sur internet, pourquoi ne liraient-ils pas plus, suffit de leur apporter la lecture sur un plateau accessible, virtuel ou physique et voilà, tout le monde sera content. Sauf que bah non. Le temps libre n’est pas extensible et la lecture est vampirisée par les activités susmentionnées. Les Français ne lisent pas. C’est malheureux mais c’est comme ça, et il faudrait une refonte complète du système éducatif et parental pour que ça change. Le prix du livre n’a rien à voir là dedans. Le livre est gratuit en bibliothèque ou à l’école, c’est pas pour autant que tout le monde a sa carte et fonce emprunter dix livres par semaine. Tout ça est profondément culturel. J’aurais beau avoir un bac à 3€, les gens ne se rueraient pas dessus pour autant en se disant chouette, enfin de la lecture accessible, merci monsieur le libraire, vous comblez ma frustration. Les offres ponctuelles peuvent être intéressantes et amorcer une série (ou la remettre en avant) mais ne proposent pas un modèle économique viable. C’est pas pour rien que les éditeurs ne le font que sur des séries qui ont déjà fort bien marché et qui cherchent un second souffle, ou sur des séries qui n’ont pas marché du tout et qu’il vaut mieux vendre en packs pour limiter la casse et les frais de stockage. D’ailleurs, avec Cité 14 et son offre à 1€, il n’y avait pas de quoi payer tout le monde. Si mes chiffres sont corrects, ils en vendaient 2 000 alors qu’il en fallait deux fois plus, et ce sur du souple noir et blanc. Et on ne peut pas dire que les libraires n’ont pas joué le jeu, de ce que moi j’ai observé autour de moi.

 

Le mythe du lecteur qui achète son Marc Levy ou son Harry Potter et qui se transforme en gros lecteur amateur de Tom Robbins et de Claro est précisément ça : un mythe. Alors oui, de temps en temps on va l’apercevoir, le Dahu, mais c’est très rare. Là on est dans de l’industriel, de la consommation de masse (Harry Potter doit son succès pré-films à une énorme campagne marketing, rappelons-le), et ce n’est pas du tout le sujet qui nous préoccupe. Aller de l’avant et se dire qu’il faut ces titres car c’est ce que demande le public (et puis quel public, d’ailleurs ? C’est le même problème avec les bibliothèques d’ailleurs, mais c’est un autre débat) constitue une vaste erreur. Il reste de la place, largement de la place, pour l’artisanal. Et c’est à nous de le défendre. On n’ira pas bien loin en râlant en permanence qu’il y a trop de sorties et en subissant le rythme des offices ainsi que le calendrier imposé de facto par les éditeurs. C’est à moi de façonner mon offre, pas à eux. Ne serait-ce que pour ne pas ressembler à n’importe quel autre spé bd à 400 km à la ronde.

 

Et c’est cette offre, justement, qui consolidera le champ des lecteurs, les vrais, ceux qu’il faut s’efforcer à conquérir. Et à maintenir.

 

Enfin voilà ce qui me vient à l’esprit après une journée de discussion (très intéressante) avec Sylvain Runberg, Luc Brunschwig, David Chauvel et Gérard Guéro (moitié de Ange).

 

 

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M
<br /> Je n'avais pas lu le dernier commentaire, du coup le lien tombe à pic : http://www.telerama.fr/livre/la-bd-num-rique-profite-d-angoul-me-pour-se-lancer%2c92930.php#xtor=EPR-126-newsletter_tra-20130202,<br /> je me demandais ce que tu en pensais?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bon week-end (à Angoulême?)<br />
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D
<br /> Du beau monde, votre interlocuteuriat ^^<br /> <br /> <br /> D'accord avec ce que vous dites. Entièrement d'accord avec ce que vous dites.<br /> <br /> <br /> Je rajouterais juste une pensée d'un total (et humble) béotien en matière de librairie : le numérique arrive sur le pas de la porte, c'est même pas la peine de le nier, il arrive. Restez ancré<br /> dans la revente (bête et méchante) d'albums prémachés(/forcés ?) par les commerciaux des éditeurs, c'est creuser votre tombe (pas la votre, cher libraire, mais celle de toute votre profession).<br /> Mais, prendre un rôle plus proactif dans le milieu avec du conseil aclairé et assumé, de la défense de bouquins (même vieux de 3 mois (sic)), de l'organisation de discussions/invitations entre<br /> auteurs et lecteurs, de l'innovation et du rapporchement avec votre lectorat quoi, c'est ce qui pourra peut être vous éviter le sort des disquaires... Bon... Après, c'est bien plus facile à dire<br /> qu'à faire, on est d'accord... Mais je pense que vous avez un avantage certain sur l'Amazone, c'est la confiance et la proximité de votre clientèle... qui est aussi volage qu'un papillon pris<br /> dans les conséquences de son battement d'ailes, je le sais aussi... Mais bon, on ne peut pas tout avoir...^^<br /> <br /> <br /> My two sesterces, comme disent les djeuns...<br />
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M
<br /> ...Dit-il en écrivant sur son BLOG ! <br />
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L
<br /> <br /> je....hein ?<br /> <br /> <br /> <br />