Mettez les patins, je viens de cirer
Je ne sais pas si c’est mon côté Japonais, Victorien ou simplement vieux con, mais j’aime bien, quand on rentre dans ma boutique, qu’on respecte un minimum l’endroit.
C’est pas parce qu’il n’y a ni paillasson avec un dauphin dessus devant l’entrée ni flamands roses en plastique dans le jardin que vous entrez pour autant dans un lieu de perdition dans lequel il est permis de se curer le nez ou uriner par terre (ce dernier je n’y ai jamais eu droit, je vous rassure. Et quand un caninophile franchit la porte avec son animal en laisse, je lance un regard à ce dernier de telle manière qu’il comprenne bien que je tolère sa présence pourtant interdite uniquement parce que je suis un chic type et que moi aussi, avant d’être aigri, j’aimais les chiens, mais que s’agirait de pas trop exagérer en voulant marquer son territoire).
De manière générale je n’ai (pour une fois oui, je sais) pas à me plaindre. Je fais quelques remarques de temps en temps quand j’aperçois une canette ou une bouteille ouvertes (‘t’as pas l’intention de boire dans la boutique, si ?’ (suis super fort en psychologie adolescente)), et j’interdis formellement l’entrée à tout sandwich chaud, à plus forte raison quand il sent l’oignon.
Il y a une chose pour laquelle je ne dis rien, parce qu’après tout je ne suis ni surveillant (pion) ni gardien de prison, même si j’avoue lever longuement les yeux au ciel, c’est lorsqu’une personne visiblement dure d’oreille (ou en passe de le devenir) déboule avec son baladeur à fond, les écouteurs dégoulinants de tsskkk tsskkk tchhhkkksskk très désagréables. L’époque où seuls les plus téméraires avaient un walkman à cassettes (sans autoreverse, évidemment), enregistrées scrupuleusement pendant de longues heures d’attente et de frustration (bordel il peut pas se taire l’animateur ?) me manque cruellement. Maintenant il suffit de quelques dizaines d’euros, d’un ordinateur, et hop, c’est parti pour des heures d’écoutes à peine appréciées, distraites, une oreillette pendouillant à l’oreille gauche pendant que la main droite feuillette le dernier manga à la mode, et cet écouteur blanc pour bien montrer que oui, bien sûr que c’est un Ipod, tu crois quoi, que je fais pas comme tout le monde ?
L’avantage c’est qu’ils ne sont jamais que de passage, dans la boutique. C’est bien pire quand un de ces énergumènes squatte la place à côté de vous dans les transports en commun (j’arrive pas à croire qu’il écoute vraiment du David Guetta à 8h du matin. J’arrive pas à croire qu’il en écoute tout court). D’autant plus que maintenant le sport national consiste à écouter son portable et en faire profiter tout le monde dans un rayon de cinquante mètres, même si la qualité est absolument dégueulasse y compris à cinquante centimètres.
Bon, il fait beau, je vais arrêter de bougonner dans ma barbe et plutôt aller ouvrir la porte, accueillir tout le monde sans discrimination les bras et le tiroir-caisse ouverts, venez mes lapins, je suis pas vraiment fâché, je ne faisais que faire tomber des quilles de clichés en ce morne mercredi, en vrai je vous accepte tels que vous êtes. Sauf vous là dehors, assis par terre, qui vous amusez à vous balancer de la bière dessus, agglutinés autour d’un portable insensible au bon goût. J’espère qu’il va vite se mettre à pleuvoir.
L'oreille Interne (Silverberg)