Les 3 suisses redoutent Quelle blanche porte de la vitrine magique de la maison de Valerie ?
Même vu de loin, ça ressemble vraiment à rien, y’a pas à dire, je suis vraiment une quiche (j’ai la flemme de compter mes pieds, mais ça ressemble fort à de l’alexandrin, je suis pas la moitié d’un Racine).
J’ai l’outrecuidance de penser que les études de libraires, ça sert pas à grand-chose (sinon se faire embaucher sur la base d’un diplôme, ce qui peut être un poil utile, c’est vrai), et je m’en excuse auprès des nombreux étudiants de la filière qui me lisent, et qui espèrent un jour être aussi beaux que moi ou au moins avoir un comptoir, ce qui serait un bon début. Et c’est d’ailleurs tout ce que je vous souhaite, mes escargots en peluche, en cette fin d’année qui approche. Bref, ces études ne servent à rien, si ce n’est qu’ils (les enseignants avisés) expliquent comment bien réussir une vitrine, même qu’il y a un examen pour être bien sûr que les futurs libraires diplômés ne seront pas à la rue comme moi à ce niveau là. D’ailleurs, je dis que ces études ne servent à rien pour la simple et bonne raison que moi je l’aurais raté, le diplôme, pour la raison quichesque sus évoquée, et que du coup je préfère me dire que c’est le cursus, et non moi, qui est en cause.
Ne jamais se dire que l’on ne sert à rien, telle est ma devise, telle est la devise de chaque libraire qui sommeille en nous, et il faut se la répéter constamment, y compris en plein mois d’août quand on se surprend à rêver que l’on vole sur le dos de la mouche qui tourne depuis tout à l’heure dans la boutique vide, et qui pourrait presque songer à déménager toute sa famille ainsi que ses futurs œufs tellement elle serait enfin au calme et jamais dérangée.
Bref, j’ai beau faire des efforts, j’ai beau me concentrer, tenter des trucs, mais rien n’y fait, je sais pas faire une vitrine digne de ce nom. Oh certes, mettre des couvertures avec des croix gammées et des nénés, c’est facile et à la portée de n’importe quel lémurien. Mais tout est question d’agencement et du petit truc en plus. Rajouter un vibro et des menottes pour une vitrine Péchés Mignons par exemple, ou ressortir sa maquette du porte-avions Charles de Gaulle sortie du sous-sol des grands-parents pour une vitrine cockpit (collection chez Paquet avec rien que des avions. Car outre les poitrines et les croix gammées, si y’a bien une chose qui se vend toute seule, c’est une Bd avec un avion sur la couverture. Ou un bateau. Et je soupçonne les éditeurs de l’avoir compris). Et moi, ça, je sais pas faire. De toute façon, il suffit de voir la déco chez moi pour s’en convaincre, j’ai un bon goût plutôt relatif et je tente vaguement d’agencer pour que ça ressemble à quelque chose, mais le résultat est aussi intéressant qu’un porte-avions.
Je suis incapable de visualiser quoique ce soit dans son ensemble et encore moins de l’imaginer. C’est très handicapant. D’ailleurs, si une demoiselle qui, après moult efforts, a réussi à me traîner dans un magasin avec elle me demande ce que je pense de cette robe en satin rose avec des pompons verts à l’effigie de Kimera, eh bien je ne saurais que répondre. Je bredouillerai un ‘je sais pas ma chérie, c’est toi qui vois’, tout en étant conscient qu’elles détestent ça, les gonzesses, elles ont besoin de voir qu’on a un avis, que l’on s’implique, que la garde-robe c’est important, sinon on sous-entend que tout ce qui nous intéresse, c’est de les voir sans habits, que l’on est des animaux, des rustres en rut et que c’est bon, j’en ai marre, raccompagne moi chez moi, c’est toujours la même chose avec toi et puis pourquoi tu portes pas les chaussettes que je t’ai offertes, elles te plaisent pas, c’est ça ?
Et encore, je suis plus doué avec les filles qu’avec ma vitrine. Dont je prends pourtant autant soin, lave vitres et chiffon à l’appui. C’est à n’y rien comprendre.
Titus d'Enfer (Peake)
Il est difficile d'être un Dieu (Strougatski)