La femme finira bien par être l'avenir de quelque chose
Je voudrais pas cafeter, mais le monde de la Bd est plutôt du genre machiste. Très peu de femmes auteurs, peu de gonzesses dans mes rayons et pas des masses de nanas derrière les comptoirs des librairies spécialisées. Par contre, curieusement, c’est fou ce qu’elles peuvent être présentes et peu farouches sur les couvertures.
Ça a tendance à évoluer, encore heureux, on est loin du temps où pratiquement seule Claire Bretecher avait un tant soit peu de visibilité, mais quand même, c’est pas la fête de la jarretière. Enfin bon, je vais pas faire tout un cours sur la question, on est pas là pour apprendre quoi que ce soit, surtout un lundi.
Ceci étant, il faut bien séparer la Bd franco-belge du manga. 90% de mes lectrices sont des lectrices de mangas. C’est comme ça. J’en suis le premier navré (pas qu’elles lisent du manga hein, ça je l’accepte volontiers), mais comme je dis aux mamans qui se désolent que leurs fils lisent Naruto à 8 ans et rien d’autre : ‘au moins ils/elles lisent’. Et du coup, de nombreux éditeurs se sont dit que tiens, ce serait une joyeuse idée de récupérer ce lectorat manga pour qu’il vienne acheter des Bds cartonnées en couleur. Et que je lance des collections ‘girly’ avec des noms débiles, et que je racole, et que je tente le style manga-franco-belge mal assimilé etc etc.
Sauf que ça marche pas comme ça. Moi mes clientes elles échangeraient pas un baril de Nana contre 36 barils de collections complètes Strawberry/Blackberry (ou son équivalent chez Dargaud, je vais pas non plus que taper sur Soleil), auto-estampillées ‘du cute du fun du fashion’. Je sais qu’elles peuvent l’être, mais faut pas non plus prendre les filles que pour des neuneus écervelées (oui oh ça va hein). Une des rares à tirer son épingle du jeu dans le domaine de la jeune fille en fleur et en pleurs à la récré, c’est Vanyda avec son excellente série ‘Celle que…’. Je n’ai, à ma connaissance, jamais été une jeune fille de 14 ans, et pourtant cette série me parle et je m’y suis identifié parfaitement. Comme quoi ma part de féminité n’est pas si enfouie que ça et qu’il m’arrive parfois de toucher du doigt ma sensibilité à fleur de peau (et y’a rien de plus féminin que ça).
D’ailleurs, en parlant de la collection Strawbidule, étaient invitées deux auteurs sur France- Inter pour débattre de la place de la femme dans la bande-dessinée, de l’évolution et tout et tout. Je ne donnerai pas les noms car mon but n’est pas de faire dans le commérage, mais l’une d’elles expliquait que ouais, trop bien, la jeune génération est libérée de l’obligation, pour exister en tant qu’auteurs femmes, de faire des Bds intelligentes ou engagées politiquement. Autrement dit, elle revendique le droit, en tant que femme, de faire elle aussi de la merde comme les hommes. J’imagine que c’est ça aussi, l’égalité des sexes (son interlocutrice a ajouté que ses Bds étaient ‘à chialer’. J’aime bien) : tirer tous ensemble le niveau vers le bas, dans un élan joyeux et unisexe.
Et moi dans tout ça, vous demandez-vous très probablement ? (ou pas). Moi je recevais deux jeunes femmes ce samedi (pas les mêmes que l’émission), ce qui changeait un peu. Et j’ai bien senti que mes clients étaient pas habitués. Comme par hasard, les chasseurs de dédicaces et habitués hardcore nolife nowomen sont restés toute la journée, à faire des vannes assez passables il faut bien le dire (c’est pas comme ça qu’ils vont conclure avec Princesse Leia), à rougir de temps en temps (‘elle est à quel nom la dédicace ?’ ‘rho ben je heu moi c’est Antoine’) et, voilà bien le plus important, à côtoyer des vraies femmes en chair et en os qui sentent bon (c’est pénible ces clichés, mais c’est vrai qu’elles sentaient bon. Qu’est ce que ça peut être coquet, une femme qui fait de la Bd).
J’en ai bien eu un, tout condescendant comme il faut, qui est allé voir la dessinatrice pour lui dire qu’elle avait fait beaucoup de progrès en quelques années, qu’il faut continuer comme ça, c’est bien. C’est qu’il faut les protéger, ces petits êtres fragiles qui ne savent pas dans quoi ils se lancent. Et ce même client est en admiration pamoisonnée (sic) devant le moindre mec qui tient un crayon et qui dessine le même monstroplante depuis des années.
Y’a encore du boulot.